Cyber-censure ! La France est à nouveau mise «sous surveillance» par Reporters Sans Frontières, principalement à cause de la répression féroce contre les internautes échangeant des fichiers sur les réseaux de partage. L’Allemagne est aussi sur la mauvaise pente, avec une décision de justice récente qui impose le filtrage à RapidShare, un concurrent de feu MegaUpload, en dépit de la décision récente de la CJUE (v. n°92) étendant l’interdiction des obligations générales de surveillance aux décisions de justice. Au niveau européen, le vote du traité ACTA a été remis à plus tard, dans l’attente de l’avis de la CJUE. Il s’agit probablement d’une mesure dilatoire, l’opposition au traité étant actuellement trop forte. Cependant, nous ne partageons pas l’opinion selon laquelle un avis positif de la CJUE empêcherait le Parlement européen de rejeter ACTA. En effet, il ne faut pas confondre les rôles de ces deux institutions, et la décision politique d’intégrer ou non le traité ACTA au droit européen n’appartient pas au pouvoir judiciaire.
Nous parlions la semaine dernière de la décision de Paypal de censurer certains contenus distribués par les sites faisant appel à ses services. Paypal est (en partie) revenue sur cette décision, cédant à la pression des internautes. Pour autant, la nouvelle politique de Paypal demeure inquiétante : ne seront plus censurés des «catégories» de livres, mais certains livres précisément identifiés, et la censure ne visera plus le texte (mais les images, illustrations). Paypal précise que le but de cette censure est de respecter la loi américaine, notamment la notion de «contenu obscène». Cette argumentation ne tient pas. En effet, le «Communications Decency Act» protège, d’une part, les intermédiaires (et Paypal est bien un intermédiaire) contre les actions en responsabilité pour la diffusion de contenus obscènes (jurisprudence Zeran v. America Online, 129 F.3d 327, 4th Cir 1997). D’autre part, la notion même de «contenu obscène» est floue, sa définition fluctuant selon le public visé et la zone géographique ciblée. La qualification du contenu sera donc nécessairement réalisée par Paypal, de manière discrétionnaire, sans que le contenu ait préalablement été qualifié par un juge. C’est bien là de la censure.
On a beaucoup parlé de Google, cette semaine. 1) D’abord, la fameuse «taxe Google» a refait surface dans le programme du candidat Sarkozy. L’idée de cette taxe est d’imposer la publicité en ligne. Google n’est évidemment pas favorable à une telle taxe, et soutient qu’il vaudrait mieux créer des emplois… Au demeurant, il n’y a pas de raison pour que les grands opérateurs du commercent électronique engrangent des milliards sans contribuer à l’impôt. 2) Ensuite, Google toujours, mais sujet différent: le moteur de recherche annonce qu’il s’efforcera bientôt de répondre directement aux questions des internautes, plutôt que de les rediriger vers les sites où se trouvent les réponses. Mais où le moteur de recherche trouvera-t-il les réponses, si ce n’est sur ces sites (qu’il visitera à la place des internautes, et donc il extraira le contenu) ? N’y a-t-il pas là un véritable problème de propriété intellectuelle ? En sélectionnant certains contenus, Google ne perdra-t-elle pas le bénéfice du régime spécial de responsabilité des intermédiaires ? La réponse directe ne causera-t-elle pas un préjudice (manque à gagner) pour les sites qui contenaient les réponses, ou plus simplement un abus de position dominante de Google sur le marché de la recherche ? Certaines de ces questions sont purement rhétoriques, mais d’autres soulèvent de véritables interrogations. 3) Enfin, selon un récent sondage mené aux États-Unis, une grande majorité des internautes sollicités sont opposés à la conservation de l’historique des recherches et aux suggestions personnalisées de résultats.
Voyons, pour finir, deux décisions de justice concernant la responsabilité des intermédiaires.
La première est un jugement du TGI de Paris du 13 mars 2012, accordant à eBay le bénéfice du régime spécial de responsabilité des hébergeurs. Voyons deux motifs, que nous jugeons mal fondés :
Les opérations techniques de présentation et d’organisation des données et la mise à disposition d’outils de classification des contenus qui sont destinées à classer, mettre en valeur les annonces et faciliter l’usage du service offert par la société eBay International AG n’induisent pas une sélection et un contrôle sur les contenus mis en ligne et sont inhérentes à la prestation de stockage des informations fournies par l’utilisateur du service.
Le fait que la société eBay International AG retire un avantage économique direct d’une part de la consultation des contenus hébergés, par le biais d’annonces publicitaires et de services payants permettant de promouvoir l’annonce postée par l’internaute, et d’autre part de la vente des produits, au moyen d’une commission sur les transactions effectuées, n’exclut pas la qualification d’hébergeur dès lors que rien dans le texte de loi n’interdit à un hébergeur de tirer profit de son site et que cette rémunération n’entraîne pas pour la société eBay International AG un contrôle sur le contenu des annonces mises en ligne par les internautes.
Le tribunal explique qu’eBay met en valeur les annonces. La mise en valeur implique nécessairement une sélection, car l’on ne met en valeur une chose qu’eu égard à un référentiel (en l’occurrence, les autres annonces). Si tous les annonces sont pareillement mises en valeur, alors aucune d’entre-elles ne l’est réellement. On pourrait penser que la formule est malheureuse, et qu’il ne s’agit que d’une amélioration intrinsèque des annonces, sans se référer aux autres annonces, mais là aussi, il y aurait intervention sur la teneur du contenu. De même pour l’activité de promotion des annonces : il s’agit d’une intervention sur le contenu qui n’a rien de neutre.
Un jugement un peu plus ancien, du 15 février 2012, est mieux fondé : Google est condamnée non pour avoir associé certains mots clés à des sites Web dans ses suggestions de recherche, mais n’avoir rien fait suite à la demande de la plaignante, alors qu’elle en avait les moyens.