L’actualité des nouvelles technologies fut marquée, cette semaine, par des manifestations dans toute l’Europe contre le traité ACTA, les suites de la fermeture de Megaupload, et quelques évolutions juridiques de la rémunération pour la copie privée.
ACTA
Nous avons déjà parlé ici, à plusieurs reprises, du traité international ACTA visant à garantir les droits de propriété intellectuelle et à lutter contre la contrefaçon, pour dénoncer certaines mesures particulièrement attentatoires aux droits des internautes – notamment la liberté d’expression et le droit au respect de sa vie privée – ainsi que l’opacité dans laquelle les négociations se sont déroulées.
Le traité ACTA a malgré tout été signé à Tokyo le 26 janvier 2012 par les États-Unis et 22 pays de l’UE dont la France. Aussitôt, les manifestations de citoyens mécontents eurent lieu.
En Pologne, premier pays touché, le gouvernement décida de suspendre la ratification du traité. La même décision fut prise en Slovaquie et le République Tchèque, peu de temps après. Vendredi, c’est la Lettonie et l’Allemagne qui décidèrent de geler le processus de ratification, émettant des réserves(en) sur le rôle de «policiers du Net» confié aux intermédiaires techniques par le traité.
En France, aucun signe de recul du gouvernement qui met en œuvre, depuis les lois Hadopi, l’une des politiques les plus répressives en la matière. L’opposition a cependant appelé au rejet du traité, en défendant une approche plus «ouverte» et «démocratique» en matière de lutte contre la contrefaçon en ligne. Des intellectuels comme Cory Doctorow appelèrent également à la mobilisation populaire contre ACTA. Et cette mobilisation eut lieu, samedi : dans toute l’Europe et malgré le froid, des citoyens manifestèrent pour défendre leurs droits contre la menace que représente le traité. L’avenir dira si ces manifestations populaires parviendront à neutraliser ACTA comme elles parvinrent, en janvier, à neutraliser le SOPA/PIPA aux États-Unis.
Megaupload : suites
Comme il fallait s’y attendre, l’action «coup de poing» menée par les autorités américaines contre les dirigeants de Megaupload s’est rapidement répercutée sur les concurrents de l’hébergeur. Certains, pris de panique, vidèrent leurs serveurs (il s’agit donc d’un cas d’inexécution du contrat pouvant causer préjudice à leurs clients et leur ouvrant un droit à réparation). D’autres décidèrent d’accentuer la surveillance de leur réseau, allant même jusqu’à traquer les liens publiés sur des sites de partage et pointant vers des fichiers hébergés sur leurs serveurs.
Ont-ils raison d’adopter de tels comportements ? Notre position est de répondre par la négative. En effet, le retrait de tous les contenus et la surveillance portent atteinte aux droits des internautes – liberté d’expression et respect de la vie privée, une fois encore. Or, les atteintes à ces droits sont légitimes lorsqu’elles sont autorisées par la loi, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Entendons-nous bien : Megaupload a violé le droit américain (la loi DMCA) en ne répondant pas favorablement aux demandes de retrait des contenus illicites, et en encourageant le partage de fichiers contrefaisants (par des paiements faits aux plus gros «uploaders»), mais pas par le seul fait d’héberger les fichiers litigieux ! Ni le droit américain ni le droit européen (directive «commerce électronique» de 2000), semblables sur ce point, n’imposent aux intermédiaires techniques de surveiller le réseau ou de rechercher activement les fichiers contrefaisants. S’ils font cela, c’est par prudence excessive (voire, par paranoïa), et non par respect de la loi. L’action contre Megaupload a donc créé (renforcé ?) un climat de peur qui incite à la censure. Les pires craintes des contempteurs du DMCA sont en train de se réaliser…
Autre question, subsidiaire : quid des fichiers licites présents sur les serveurs de Megaupload lors de la fermeture du service ? Le problème est double. D’abord, les fichiers n’ont pas été effacés, ils sont toujours stockés sur les serveurs qui ont simplement été ms hors-ligne. Certains de ces fichiers contiennent des données sensibles protégées par le droit au respect de la vie privée, au secret des correspondances, au secret professionnel ou industriel, ou tout simplement des fichiers licites, qu’ils soient libres de droits ou qu’ils aient été mis en ligne par le titulaire des droits de propriété intellectuelle. Qu’adviendra-t-il de ces fichiers ? Leurs propriétaires pourront-ils les récupérer, ou en obtenir la destruction ? Ensuite, le sort des fichiers licites : la fermeture de Megaupload porte préjudice aux internautes qui utilisaient le service en toute légalité. A ce titre, la réponse des autorités américaines, en substance «tant pis pour eux, qui ont pris le risque d’utiliser un service connu pour être utilisé à des fins illicites» semble bien mal fondée. Seront-ils indemnisés ?
Copie privée
D’abord, le barème de la rémunération pour la copie privée sur les tablettes a été reconduit par la commission pour la copie privée. Les tablettes continueront donc d’être taxées en fonction de l’espace de stockage qu’elles offrent, afin de compenser le manque à gagner résultant de la copie privée d’œuvres protégées par le droit d’auteur, qui évite aux consommateurs d’avoir à acheter les fichiers représentant ces œuvres en plusieurs exemplaires.
Mais surtout, la CJUE a rendu un arrêt important, selon lequel :
Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne laisse pas la faculté aux États membres d’établir une présomption de cession, au profit du producteur de l’œuvre cinématographique, du droit à compensation équitable revenant au réalisateur principal de ladite œuvre, que cette présomption soit formulée de manière irréfragable ou qu’elle soit susceptible de dérogation.
Autrement dit, la rémunération pour la copie privée doit être versée non pas aux producteurs et distributeurs d’œuvres, mais directement aux auteurs. Or, à l’heure actuelle, en France, ces sommes sont perçues par des sociétés spécialisées qui prélèvent 25% des montants obtenus et reversent le reste aux auteurs. Ce pourcentage correspond à des sommes devant être utilisées, selon l’article L321-29 CPI, «à des actions d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes». L’arrêt de la CJUE pourrait bien remettre en cause ce modèle…