L’actualité de cette semaine est dominée par la publication du texte consolidé du traité ACTA résultant du dernier round des négociations à Tokyo et, en France, par la censure de la loi sur l’attribution des noms de domaine en .fr par le Conseil constitutionnel.
Le texte consolidé du traité ACTA a donc été publié cette semaine. Sa lecture est assez instructive. En attendant des analyses plus poussées, on relèvera les points suivants :
- Le traité impose aux États parties de modifier leur législation afin de garantir le respect des droits de propriété intellectuelle dans l'environnement numérique et de sanctionner leur violation. Les législations nationales doivent ainsi prévoir des procédures, dont le traité précise qu'elles doivent être justes, équitables et respectueuses des droits de la défense.
- Le traité impose le principe de proportionnalité, qui doit arbitrer entre la gravité de l'atteinte aux droits de propriété intellectuelle, les intérêts des tiers (comprendre : les intermédiaires techniques tels que les FAI et les hébergeurs) et les mesures de sanction et d'indemnisation. En pratique, toutefois, certaines dispositions civiles et pénales du traité (par exemple les dommages-intérêts punitifs, dans les pays dont la loi le permet) semblent être purement répressives.
- Le traité insiste sur les pouvoirs de l'autorité judiciaire. Cela est important, car le juge est le garant du respect des droits. En France, au contraire, le législateur s'oriente vers des solutions administratives plutôt que judiciaires (Hadopi, LOPPSI2, ARJEL, etc.).
- Le traité contient certaines dispositions dangereuses, qui permettent l'intervention a priori des autorités : "Each Party shall provide that (...) its judicial authorities shall have the authority to issue an order (...) to a party or (...) a third party (...) to prevent infringing good from entering into the channels of commerce". L'autorité judiciaire peut ordonner des mesures provisoires aux intermédiaires du réseau, afin de faire cesser ou de prévenir la diffusion d'oeuvres contrefaisantes ("judicial authorities shall have the authority to order prompt and effective provisional measures (...) against a third party (...) to prevent an infringement of any intellectual property rights from occuring").
- Le montant de la condamnation prend en compte, dans une certaine mesure et dans certains cas, l'intention de l'auteur du délit ("the infringer who knowingly or with reasonable grounds to know...").
- Les règles élaborées en application du traité doivent respecter les droits fondamentaux, notamment le droit à la vie privée et à la protection des données personnelles. Toutefois, le traité reste assez confus sur ce point.
- Le traité a un côté répressif, notamment lorsqu'il permet de définir des règles ayant pour vocation de dissuader les atteintes futures aux droits de propriété intellectuelle ("expeditious remedies to prevent infringement and remedies which constitute a deterrent to further infringement")
- Le traité contient une série de dispositions destinées à protéger les DRM (mesures techniques de protection des droits : ce sont les DRM qui empêchent la lecture ou la copie d'un morceau de musique ou d'un film téléchargés sur une plateforme commerciale "légale"). Comme à l'époque de la loi DADVSI en France, on peut se demander dans quelle mesure ces dispositions sont susceptibles de nuire aux droits des personnes et, plus généralement, à l'économie numérique (la principale victime serait alors le logiciel libre, par exemple le lecteur VLC).
- Le traité encourage la coopération internationale dans la protection des droits de propriété intellectuelle et dans la sanction de leur violation.
- Est instauré un Comité chargé, notamment, de décider dans quelle mesure le traité doit être modifiée (il se prononce sur les propositions des États parties).
En France, le Conseil constitutionnel vient de censurer l’article L.45 du Code des postes et des communications électroniques sur l’attribution des noms de domaine en .fr. Le droit constitutionnel répartit les compétences régulatoires : certaines questions relèvent obligatoirement de la compétence du législateur, tandis que d’autres peuvent être réglées par décret (lorsque la loi le prévoit). En l’espèce, le Conseil a jugé que le législateur n’avait pas pleinement exercé sa compétence, qu’il aurait dû légiférer sur certaines questions laissées à l’administration. Il s’agit donc d’une annulation de la loi pour «incompétence négative» du législateur. Pourquoi ? Le Conseil a estimé, comme il l’avait déjà fait dans sa décision sur la loi Hadopi, que l’accès à Internet participe de la liberté d’expression et de la liberté d’entreprendre. Le nom de domaine étant, en quelque sorte, la «porte d’entrée» d’un site, les conséquences de son attribution ou de son retrait portent sur l’ensemble du site et, partant, sur l’activité numérique de son titulaire («en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services dans la vie économique et sociale, notamment pour ceux qui exercent leur activité en ligne, l’encadrement, tant pour les particuliers que pour les entreprises, du choix et de l’usage des noms de domaine sur internet affecte la liberté de communication et la liberté d’entreprendre»). En d’autres termes : attribuer ou retirer un nom de domaine affecte les libertés d’expression et d’entreprise de la personne concernée ; or, les atteintes et les restrictions à ces libertés relèvent du domaine de la loi. La décision du Conseil constitutionnel ne produira aucun effet immédiat : le législateur a jusqu’au 1er juillet 2011 pour changer la loi et l’adapter à la décision.