Au sommaire, cette semaine, la liberté d’expression et les révélations de Mediapart dans l’affaire Woerth-Bettencourt, le filtrage en Australie, l’anonymat sur les forums Blizzard, Facebook et Google encore accusés de violer la vie privée des internautes, et les dernières évolutions du traité ACTA.
Liberté d’expression
Une affaire politique a dominé l’actualité de cette semaine : le témoignage de l’ancienne comptable de la famille Bettencourt, qui accuse certains hommes politiques d’avoir reçu de l’argent en espèces des milliardaires pour le financement de leur parti. Ces révélations proviennent d’un journal en ligne, Mediapart. La réaction du parti au pouvoir fut violente : le journal fut assimilé à Gringoire ou à d’autres publications fascistes qui participèrent, notamment, à l’infâme campagne de diffamation à l’encontre de Roger Salengro à l’époque du Front populaire. Le fait que le journal paraisse en ligne permit à ses détracteurs d’utiliser le sophisme habituel : sur Internet, on trouve des contenus illicites et des informations fausses ; Mediapart est publié sur Internet ; donc ce qu’il dit est faux. Étrangement, le Web retrouve toutes ses vertus lorsqu’il est utilisé par les défenseurs du ministre mis en cause. Mais peu importe : l’affaire donne du grain à moudre à ceux qui voudraient censurer le seul média aujourd’hui véritablement démocratique (au sens premier du terme : «l’information citoyenne» est apportée par le peuple, et non par les médias traditionnels qui sont parfois mus par des intérêts étrangers à leur mission première d’information).
Le filtrage du Web, qui est une forme de censure, présente un véritable danger pour la démocratie. On ne pourra donc que se réjouir que, face aux critiques, l’Australie décide de reporter(en) son projet de filtrage du réseau. A l’inverse, l’on pourra comprendre que l’ARJEL mette en demeure des sites de pari en ligne illicites de ne plus exercer en France. Mais cela ne veut pas dire que le procédé est toujours légitime ou efficace. En l’occurrence, on peut comprendre, en raison de la sensibilité de la question des jeux d’argent, que l’administration intervienne a priori pour autoriser certains sites, et qu’elle ordonne ensuite aux sites non autorisés de ne plus offrir leurs services au public français. Cela reste légitime tant que les sites concernés sont spécifiquement et individuellement visés, et que le filtrage n’est pas automatique. En revanche, côté pratique, il est permis de douter de l’efficacité de ces mesures de blocage : il suffit d’utiliser un Proxy/VPN (ou pas(en)) pour échapper au filtrage.
Le filtrage peut être beaucoup plus nuisible (et efficace) lorsqu’il est mis en place par des opérateurs qui occupent une place importante dans l’accès au contenu sur Internet. C’est le cas de Google qui est devenu le portail d’entrée sur le Web de nombreux utilisateurs. Utiliser un seul outil est dangereux, et les dangers pourraient bien se concrétiser s’il était prouvé que Google modifie volontairement le classement (PageRank) de certains sites. Pour l’instant, rien n’est établi, mais la Commission européenne enquête(en). Les fournisseurs d’accès (FAI) sont aussi des opérateurs importants, qui peuvent bloquer un site. C’est pourquoi des ayants-droit ont assigné en justice deux FAI belges afin de faire bloquer le site The Pirate Bay. La justice belge a estimé que le blocage total du site était une mesure disproportionnée (certains contenus étant tout de même licites, sur The Pirate Bay…).
À mi-chemin entre liberté d’expression et protection de la vie privée, Blizzard (l’éditeur de World of Warcraft) annonce cette semaine que ses forums ne seront plus anonymes. La justification est classique(en) : le pseudonymat inciterait les internautes à se conduire comme des sauvages, sans la retenue que l’on s’impose lorsque l’on signe un discours de son nom. On peut retourner l’argument : l’anonymat et, dans une certaine mesure, le pseudonymat, permettent d’éviter tout risque d’auto-censure et de préserver la sérénité de l’auteur ; c’est par eux que l’on atteint la véritable liberté d’expression, pour le meilleur comme pour le pire. Cela peut semble trivial, mais il devient de plus en plus nécessaire de le rappeler : sans liberté, il ne peut y avoir d’abus ; l’existence d’abus est donc parfaitement normale, puisqu’elle caractérise l’existence d’une liberté. Bien entendu, cela ne veut pas dire que les abus doivent être protégés ; au contraire, ils doivent être sanctionnés, mais cette sanction doit intervenir ex post et non ex ante. L’annonce de Blizzard provoqua un véritable tollé, les internautes étant très attachés au pseudonymat. Devant l’ampleur des critiques, la société finit par se rétracter.
Vie privée
Le célèbre réseau social Facebook serait-il sur le déclin ? Les internautes américains semblent peu à peu se désintéresser du site, pour plusieurs raisons : les critiques liées à la protection de la vie privée, notamment les changements de la «privacy policy» de Facebook ; les incitations à quitter le réseau social ; le succès grandissant de concurrents ; et le fait que beaucoup d’internautes finissent par réaliser, après un temps d’utilisation de Facebook, que le réseau social est addictif, mais qu’il ne remplace par les relations humaines dans le monde réel.
Alors que certains gouvernements utilisent Facebook pour la communication politique(en), d’autres continuent de se préoccuper de la protection des données personnelles déversées sur le réseau social. C’est le cas de l’Allemagne qui accuse Facebook de traiter des données de personnes qui ne sont pas membres du réseau (et qui n’ont donc pas pu consentir à un tel traitement). Facebook a jusqu’au 11 août(es) pour répondre aux autorités allemandes. Une procédure contre Facebook est également initiée au Canada, où il est reproché au site d’avoir modifié sa politique de protection de la vie privée et d’exploitation des données personnelles sans le consentement des personnes concernées.
Lorsqu’on parle de Facebook, Google n’est pas loin derrière. Alors qu’il vient d’obtenir le renouvellement de sa licence en Chine, le moteur de recherche est lui aussi accusé de violer la vie privée des internautes par l’exploitation de leurs données personnelles, cette fois en Australie(es) et en Espagne(es). C’est le service Street View qui est une fois de plus visé.
La protection des données implique certaines restrictions à la collecte et au traitement, mais aussi la sécurisation de leur stockage. Et c’est une faille dans la sécurité de The Pirate Bay qui a permis, grâce à une injection SQL, à des personnes mal intentionnées d’exposer des données des internautes inscrits au site(en), notamment des adresses IP. Peut-être que le nouvel hébergement du site sur les serveurs du parlement suédois serait une bonne occasion de revoir la sécurité de ses logiciels !
Apple commence à connaître de tels problèmes (en plus de ceux relatifs à la concurrence) : certains comptes iTunes ont été compromis par un vendeur indélicat, et la société a mis du temps à réagir. Les problèmes relatifs à la vie privée vont probablement se multiplier pour Apple, car la plateforme iAds vient d’ouvrir. On rappellera qu’il s’agit d’un service permettant à des annonceurs de vendre de la publicité aux utilisateurs des appareils Apple, iPhone, iPod Touch et iPad. Apple gère le système et se charge d’injecter les publicités dans les appareils de ses clients.
Pour finir sur une note optimiste, des solutions pour renforcer la protection de la vie privée des internautes sont envisagées par la fondation Mozilla, qui édite le navigateur Firefox.
Propriété intellectuelle
Au niveau européen, le vote sur le rapport Gallo est repoussé à septembre.
En attendant, le groupe de l’article 29 (de la directive 95/46 sur la protection des données personnelles) va s’intéresser au traité ACTA(en) dès la semaine prochaine. Alors que le round de Lucerne s’achève (v. la timeline élaborée par Michael Geist(en)), un pays continue à s’opposer à la transparence(en). Vu les antécédents, il est probable qu’il s’agisse des États-Unis (où l’on constate depuis quelque temps que, sur ce plan-là au moins, en matière de propriété intellectuelle, Obama ne vaut pas mieux que Bush).
Heureusement, il existe encore, parfois, un peu de justice dans le droit de la propriété intellectuelle. C’est ainsi qu’un juge américain a estimé que la condamnation d’une personne à 675.000 dollars d’amende pour avoir téléchargé 30 chansons sur Kazaa(en) constituait une violation de la clause due process de la Constitution. En effet, la disproportion entre l’amende et la violation des droits dépasse ce qu’il est nécessaire pour indemniser le préjudice de la victime et punir l’auteur du délit (le droit américain connaît les dommages-intérêts punitifs) : c’est tout simplement un châtiment cruel, et donc contraire à la Constitution (et dire que l’on diabolise les vilains-internautes-pirates, qui sont présentés comme des monstres voulant tuer la culture… on se demande vraiment qui est le plus monstrueux…). Le juge a divisé la somme par 10, l’amenant à 67.500 dollars (ce qui est déjà énorme pour 30 chansons !).