Article publié à l’origine sur Intlex.org, puis recopié sur Valhalla.fr à la fermeture du site.
La Cour d’appel de Paris a rendu sa décision dans l’affaire « Fuzz » qui avait défrayé la chronique lorsque le juge des référés du TGI de Paris ((TGI Paris (ref.), 26 mars 2008, Olivier Martinez c. Bloobox Net, Eric Dupin (affaire Fuzz))) avait condamné la société Bloobox Net, éditrice du site fuzz.fr, pour avoir diffusé sur le Web un lien hypertexte vers un article violant l’intimité de la vie privée d’une personnalité people. La Cour a infirmé l’ordonnance de référé et appliqué à la société Bloobox Net le régime d’irresponsabilité des hébergeurs de l’article 6 de la Loi du 21 juin 2004 pour la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN). La société Bloobox Net ne peut donc voir sa responsabilité engagée par la diffusion d’un contenu illicite que si, ayant connaissance de l’illicéité de ce contenu, elle n’a rien fait pour en faire cesser la diffusion.
La décision nous semble mériter d’être commentée, non pour la finesse du raisonnement ou le bien fondé des motifs, mais parce qu’elle est la parfaite illustration des erreurs actuelles de la jurisprudence en matière de responsabilité des intermédiaires.
La Cour débute son raisonnement par une analyse de l’activité de la société Bloobox Net, défenderesse devant le juge des référés et demanderesse en appel. La société « a pour objet social la conception web et multimédia », elle « édite sur internet un site » et « diffuse sur ce site des informations ». Elle « publie » sur son site des brèves dont le titre est un lien hypertexte vers l’article complet, situé sur un autre site Web. La Cour précise qu’il « n’est pas contesté que la société Bloobox Net est éditrice du site fuzz.fr ». Celle-ci a pour objet social la « conception Web et multimédia » -et non l’intermédiation technique- ; elle « structure et classifie les informations mises à disposition du public selon un classement choisi par elle permettant de faciliter l’usage de son service ». Malgré cela, la Cour applique à la société Bloobox Net le régime d’irresponsabilité des hébergeurs. Son raisonnement est défectueux sur plusieurs points.
1) La Cour réalise une fausse interprétation de l’article 6 LCEN, qui ne qualifie d’hébergeur que les « prestataires techniques » -comme le relève la Cour elle-même-. La société Bloobox crée des fichiers, rédigés dans un langage de programmation qui permet d’afficher la présentation et le contenu désirés à l’écran. Elle loue ensuite des serveurs (ou un espace sur des serveurs mutualisés) auprès d’un opérateur, afin de disposer d’un espace pour stocker ces fichiers qui seront mis en ligne sur le Web. Cet opérateur est le véritable intermédiaire technique, qui met à disposition des disques durs stockant les fichiers sans contrôler le contenu de ces fichiers. C’est donc lui l’hébergeur du site Fuzz.fr. La société Bloobox est propriétaire des fichiers stockés sur les disques durs de l’hébergeur, mais non des disques durs ; elle est par conséquent la destinataire des services d’hébergement de cet opérateur. A l’inverse, l’hébergeur est propriétaire des supports de stockage mais pas des données stockées : c’est pour cette raison que, juridiquement, il n’a aucun contrôle sur ces données qui sont protégées par le droit de la propriété intellectuelle.
2) Certains répondront à l’argument précédent qu’il n’est pas gênant qu’une société soit qualifiée simultanément d’hébergeur et d’éditeur. En théorie, en effet, cela pourrait se concevoir, la loi ne l’excluant pas. Toutefois, cette fiction juridique s’accommode mal avec la réalité technique. En effet, le régime d’irresponsabilité s’applique à l’hébergeur pour les sites de ses clients, et non pour son propre site. Un opérateur peut donc être à la fois hébergeur et éditeur de son site, mais, dans ce cas, la qualification d’éditeur doit l’emporter sur celle d’hébergeur. Dans le cas contraire, une distortion malheureuse et injuste se créerait entre l’éditeur ayant recours à un professionnel de l’hébergement, qui serait responsable des délits de presse en ligne et l’éditeur hébergeant personnellement son site, qui bénéficierait du régime d’irresponsabilité. De surcroît, la fraude serait favorisée, puisqu’il serait permis à une personne d’éluder le régime de responsabilité qui lui est normalement applicable en hébergeant elle-même son site. C’est précisément ce à quoi conduit la solution retenue par la Cour d’appel, qui qualifie la société Bloobox Net d’éditeur du site Fuzz.fr tout en acceptant qu’elle bénéficie du régime d’irresponsabilité des hébergeurs.
3) La Cour méconnaît les règles désignant les responsables des délits de presse en ligne. Les responsables des délits de presse en ligne sont clairement identifiés : le directeur de la publication, l’auteur du message incriminé, et le producteur. Si le directeur de la publication et le producteur sont des personnes physiques désignées par la société éditrice et que la société Bloobox Net bénéficie du régime des hébergeurs, il ne reste plus que l’auteur comme responsable du délit de presse. La Cour neutralise donc la responsabilité de deux des trois personnes désignées par le régime de responsabilité en cascade.
4) La Cour retient la responsabilité exclusive de l’auteur du message incriminé, en l’espèce l’internaute « éditeur du lien et du titre » (n’est-il pas plutôt auteur du titre du lien ?), réduisant de ce fait les chances de succès de l’action en responsabilité. En effet, la plupart des sites ne conservent pas de journal (log) des pages visitées et des actions effectuées par les internautes, ceux-ci sont donc difficilement identifiables. Reste la solution de poursuivre la logique jusqu’au bout, en imposant à tous les sites du Web (car vu la structure du Web 2.0, le moindre blog sera qualifié d’hébergeur) les obligations de conservation des données personnelles qui incombent aux hébergeurs ((En ce sens, déjà, TGI Paris, 14 novembre 2008, Lafesse c. YouTube, Legalis : http://legalis.net/jurisprudence-imprimer.php3?id_article=2484 2008))… Il est certain que l’esprit de la loi est d’imposer de telles obligations aux hébergeurs professionnels, qui ont les connaissances techniques et les moyens financiers et matériels nécessaires à leur satisfaction, et non aux particuliers simples « blogueurs ». Ceux qui se félicitent de la décision de la Cour d’appel n’en ont pas encore éprouvé les effets pervers, et n’ont certainement pas réalisé qu’elle leur impose de nouvelles obligations (conservation des données d’identification des visiteurs) et de nouvelles charges (principalement, le risque d’être assigné en référé pour le retrait d’un contenu illicite).
5) La Cour opère une certaine confusion en citant l’intitulé du lien publié sur Fuzz.fr ainsi qu’un extrait de l’article vers lequel ce lien renvoie. Il semble ainsi -bien que ce ne puisse être le cas- que cet article est attribué à l’internaute qui a inséré le lien sur Fuzz.fr. Or, l’article illicite est différent du lien vers cet article ; il est, et surtout il demeure, sur un autre site que Fuzz.fr. En publiant un lien vers l’article illicite, l’internaute ne réalise en aucun cas une nouvelle publication de ce message (et si c’était le cas, il s’agirait d’une contrefaçon). Par conséquent, l’internaute est l’auteur du titre d’un lien hypertexte et non de l’information incriminée elle-même. A moins que l’intitulé du lien soit jugé illicite en soi, la responsabilité de l’internaute ne peut être engagée que pour le fait d’avoir relayé un contenu illicite, et non pour être à l’origine de ce contenu. C’est donc uniquement de l’illicéité du titre du lien dont il doit être question, et l’on voit mal pourquoi la Cour cite un passage entier de l’article illicite original.
6) La Cour ne suit pas le premier juge qui avait décidé que la société Bloobox Net était un éditeur, après avoir relevé qu’elle opère des choix, qualifiés d’éditoriaux dans l’ordonnance de référé, visant à mettre en valeur certains liens soumis par les internautes. Pour justifier le rejet de cet argument, la Cour ne nie pas que la société « structure et classifie les informations » ; elle choisit au contraire de se fonder sur le fait que celle-ci « n’est pas l’auteur des titres et des liens hypertexte et qu’elle ne détermine pas le contenu du site ». Là encore, le raisonnement est erroné : le fait de ne pas être l’auteur d’une information n’exclut pas le fait d’en être l’éditeur, dès lors que l’auteur et l’éditeur sont deux personnes différentes en droit de la presse. En outre, la société Bloobox Net détermine le contenu de son site, bien qu’elle ne soit pas l’auteur de ce contenu et quoi qu’en dise la Cour, dès lors qu’elle a la possibilité, à son gré, d’afficher une page blanche vide, une page remplie de texte que les internautes ne peuvent modifier, ou une page constituée de liens insérés par les internautes. Rien n’oblige en effet la société Bloobox Net à donner la possibilité aux internautes d’apporter librement un contenu potentiellement illicite, puisqu’elle est propriétaire, au regard des règles du droit de la propriété intellectuelle, de ce qui est, comme le dit la Cour, « son site ». Le véritable hébergeur, au contraire, n’a aucun droit d’auteur sur les sites hébergés qui restent la propriété de ses clients. En décidant de laisser aux internautes la possibilité d’apporter du contenu, la société Bloobox Net opère un véritable choix éditorial au même titre qu’un quotidien papier choisit de publier dans ses colonnes tel ou tel auteur. Elle pourrait d’ailleurs tout aussi bien modérer les informations soumises à l’aide d’un comité éditorial qui en contrôlerait le sérieux et la véracité. Mais il est vrai qu’il s’agit là d’une pratique habituelle pour les vrais journalistes mais totalement étrangère aux médias people.
Le raisonnement de la Cour est, comme nous venons de le voir, sujet à de nombreuses critiques. Pourtant, la décision paraît équitable car condamner un opérateur pour avoir relayé au moyen d’un lien hypertexte une information qui n’est pas manifestement illicite serait, sans conteste, une atteinte intolérable à la liberté d’expression. Pour autant, la Cour aurait pu suivre un autre chemin et, tout en appliquant à la société Bloobox Net le régime de responsabilité qui correspond à sa qualification d’éditeur du site Fuzz.fr, décider qu’une référence ou un lien vers un contenu illicite n’est pas, en soi, illicite. Elle aurait pu ensuite apprécier si, en l’espèce, le titre du lien publié sur Fuzz.fr était, à lui seul, constitutif d’une violation de l’intimité de la vie privée du demandeur.
Cour d’appel de Paris, 21 novembre 2008
Bloobox Net (Eric Dupin / Fuzz.fr) contre Olivier MartinezFAITS ET PROCEDURE
Vu l’appel formé par la société Bloobox Net de l’ordonnance de référé rendue le 26 mars 2008 par le président du tribunal de grande instance de Paris qui a :
- condamné la société Bloobox Net à payer à M. Olivier M. la somme de 1000€à titre de provision et celle de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté le surplus de la demande de M. Olivier M. ;
- rejeté les demandes reconventionnelles de la société Bloobox Net ;
- condamné la société Bloobox Net aux dépens ;Vu les conclusions en date du 18 septembre 2008 par lesquelles la société Bloobox Net demande à la cour, par voie d’infirmation, de :
- dire abusive l’action en justice intentée par M Olivier M. ;en conséquence,
- condamner M. Olivier M. à une amende civile qu’il plaira à la cour de fixer et à lui payer la somme de 30 000 € à titre de provision sur dommages et intérêts ;
- ordonner à M. Olivier M. de notifier à la société Bloobox Net chaque contenu présent sur le site www.fuzz.fr qu’il considérera comme illicite à l’avenir, par courrier électronique puis par lettre recommandée avant toute assignation ;
- dire que la société Bloobox Net n’est pas éditeur du lien hypertexte et du titre litigieux ;
- dire que la société Bloobox Net en tant que fournisseur du lien hypertexte doit être qualifiée d’hébergeur de celui-ci au sens de l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ;
- dire que la société Bloobox Net est hébergeur du titre litigieux au sens de l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ;
- dire que la société Bloobox Net a retiré promptement les contenus litigieux dès qu’elle en a eu connaissance ;en conséquence,
- dire que la société Bloobox Net n’a commis aucune faute du fait de la diffusion du lien hypertexte et du titre litigieux sur son site internet www.fuzz.fr ;à titre subsidiaire,
- dire qu’il existe une contestation sérieuse quant à la qualification d’éditeur de la société Bloobox Net au titre du lien hypertexte et du titre en litige et qu’il n’y avait dès lors pas lieu à référé ;
- dire que M. Olivier M. n’a subi aucun préjudice du fait de la diffusion du lien hypertexte et du titre litigieux sur son site internet www.fuzz.fr ;
- confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a jugé que la décision à intervenir n’avait pas à faire l’objet d’une mesure de publication ;
- condamner M. Olivier M. outre aux dépens, au payement de la somme de 6000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;Vu les conclusions en date du 25 septembre 2008 par lesquelles M. Olivier M. demande à la cour, au visa des articles 4, 9 et 1382 du code civil et 809 du code de procédure civile et sous divers constats, de :
- confirmer l’ordonnance entreprise sauf sur le montant de l’indemnisation provisionnelle qui lui a été allouée ;A titre reconventionnel,
- condamner la société Bloobox Net à lui payer la somme de 29 000 € en réparation de son préjudice moral ;en tout état de cause
- condamner la société Bloobox Net, outre aux dépens, au payement de la somme de 4500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;DISCUSSION
Considérant que la société Bloobox Net, qui a pour objet social la conception web et multimédia, édite sur internet un site accessible à l’adresse www.fuzz.fr ; qu’elle diffuse sur ce site des informations, dont certaines dans une rubrique “people” ont trait à l’actualité et à la vie privée d’artistes et de personnalités du spectacle ;
Que le 31 janvier 2008, ce site a publié une “brève” rédigée en ces termes : Kylie Minogue et Olivier M. réunis et peut-être bientôt de nouveau amants” accompagnée d’un titre “Kylie Minogue et Olivier M. toujours amoureux, ensemble à Paris” lui-même assorti d’un lien renvoyant à un article publié le 30 janvier 2008 sur le site www.célébrités-stars.blogspot.com
“La chanteuse Kylie Minogue qui a fait une apparition aux NJR Music Awards a ensuite été vue avec son ancien compagnon l’acteur français, Olivier M. La star a été vue à Paris promenant son chien …. et alors qu’elle allait avec son ancien fiancé chez Yves & Laurent puis au café de Flore où elle aimait déjà se rendre lorsqu’elle habitait Paris afin de recevoir le traitement pour soigner son cancer ;
L‘actrice âgée de 39 ans a créé bien malgré elle une petite émeute… alors qu’elle promenait son chien avec Olivier M. dans le rues de Paris.
Rappelons que les deux célébrités se sont séparées au mois de février 2007 lorsque l’acteur a été surpris en charmante compagnie et alors que Kylie Minogue suivait un lourd traitement contre le cancer.
La star australienne est ensuite allée à la gare pour prendre un train Eurostar en direction de Londres mais elle pourrait d’après ses proches bientôt revoir Olivier M. régulièrement” ;Qu’invoquant une intrusion intolérable dans la sphère de son intimité, M. Olivier M. a saisi le juge des référés aux fins de voir constater cette atteinte à la vie privée et obtenir réparation de son préjudice moral, notamment voir ordonner le retrait immédiat de l’article sous astreinte, condamner la société Bloobox Net au payement d’une provision de 30 000 € en réparation du préjudice moral et ordonner la publication de l’ordonnance sur la page du site internet sous astreinte ;
Que c’est dans ces conditions que l’ordonnance entreprise a été rendue ; que le premier juge a dit qu’en renvoyant au site www.célébrités-stars.blogspot.com, en agençant différentes rubriques telles que celle intitulée “people” et en titrant en gros caractères “Kylie Minogue et Olivier M. toujours amoureux, ensemble à Paris”, la société Bloobox Net a opéré un choix éditorial ; qu’il l’a considérée comme un éditeur de service de communication en ligne au sens de l’article 6 III 1 c de la loi susvisée renvoyant à l’article 93-2 de la loi du 21 juillet 1982 et par suite, responsable de la diffusion de propos portant atteinte à la vie privée de M. M. ;
Considérant qu’en cause d’appel, la société Bloobox Net revendique le statut d’hébergeur au sens de l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique pour rejeter toute responsabilité tandis que M. M. lui attribue le rôle d’un éditeur ;
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 rappelé à l’article 1er de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, le respect de la vie privée constitue une limite à la communication au public par voie électronique ;
Considérant que l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 distingue les différents prestataires de cette communication en ligne ; que l’éditeur est, selon l’article 6-I-1, défini comme la personne ou la société qui “édite un service de communication en ligne” à titre professionnel ou non c’est à dire qui détermine les contenus mis à la disposition du public sur le service qu’elle a créé ;
Qu’en revanche, aux termes de l’article 6-I-2, l’hébergeur est la personne ou la société qui assure “même à titre gratuit pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sans ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services” ; que l’article 6-I-7° de la même loi précise que les hébergeurs ne sont pas soumis une obligation générale de surveillance des informations qu’ils stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites “ ;
Qu’au vu de ce qui précède, le “prestataire technique” au sens de l’article 6 de la loi susvisée assure, en vue de leur communication au public en ligne, le stockage de données fournies par des tiers, et n’est pas, contrairement à l’éditeur, personnellement à l’origine des contenus diffusés ;
Considérant qu’il convient d’apprécier si, au regard des dispositions de la loi du 21 juin 2004, la société Bloobox Net détermine les contenus qui sont mis en ligue et si elle a la maîtrise du contenu éditorial des informations proposées sur son site et des titres résumant les informations ;
Considérant qu’il n’est pas contesté que la société Bloobox Net est éditrice du site www.fuzz.fr ;
Que ce site interactif offre aux internautes d’une part la possibilité de mettre en ligne des liens hypertextes en les assortissant de titres résumant le contenu des informations et d’autre part le choix d’une rubrique telle que ”économie”, «média”, “sport” ou “people” etc. dans laquelle ils souhaitent classer l’information ; qu’ainsi, le 31 janvier 2008, un internaute a rédigé et déposé sur la rubrique “people” du site www.fuzz.fr un lien hypertexte renvoyant vers le site www.célébrités-stars.blogspot.com en ces termes : “Kylie Minogue et Olivier M. réunis et peut-être bientôt de nouveau amant ?» et l’a assorti du titre suivant : “ Kylie Minogue et Olivier M. toujours amoureux ensemble à Paris” ;
Que c’est l’internaute qui utilisant les fonctionnalités du site, est allé sur le site source de l’information, www.célébrités-stars.blogspot.com, a cliqué sur le lien, l’a recopié sur la page du site de la société Bloobox Net avant d’en valider la saisie pour le mettre effectivement en ligne sur le site www.fuzz.fr et a rédigé le titre ; qu’ainsi, l’internaute est l’éditeur du lien hypertexte et du titre ;
Que le fait pour la société Bloobox Net créatrice du site www.fuzz.fr de structurer et de classifier les informations mises à la disposition du public selon un classement choisi par elle permettant de faciliter l’usage de son service entre dans la mission du prestataire de stockage et ne lui donne pas la qualité d’éditeur dès lors qu’elle n’est pas l’auteur des titres et des liens hypertexte et qu’elle ne détermine pas les contenus du site, source de l’infirmation, www.célébrités-stars.blogspot.com que cible le lien hypertexte qu’elle ne sélectionne pas plus ; qu’elle n’a enfin aucun moyen de vérifier le contenu des sites vers lesquels pointent les liens mis en ligne par les seuls internautes ;
Qu’au vu de ce qui précède, il résulte que la société Bloobox Net ne peut être considérée comme un éditeur au sens de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, sa responsabilité relevant du seul régime applicable aux hébergeurs ;
Considérant qu’à l’exception de certaines diffusions expressément visées par la loi relatives à la pornographie enfantine, à l’apologie des crimes contre l’humanité et à l’incitation à la haine raciale que l’hébergeur doit, sans attendre une décision de justice, supprimer sa responsabilité civile ne peut être engagée du fait des informations stockées s’il n’a pas effectivement eu connaissance de leur caractère illicite ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer les données ou en rendre l’accès impossible ;
Qu’il appartient à celui qui se plaint d’une atteinte à ses droits d’en informer l’hébergeur dans les conditions de l’article 6-l-5° de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 ; que dès cette connaissance prise, l’article 6-I-2 de la loi impose à l’hébergeur d’agir promptement” ; qu’en l’espèce, M. Olivier M. n’a adressé à la société Bloobox Net aucune mise en demeure en ce sens avant de l’assigner ;
Que dans ces conditions, les demandes de M. Olivier M. doivent être rejetées et l’ordonnance infirmée ;
Considérant que la société Bloobox Net n’est pas recevable à solliciter la condamnation de M. M. au paiement d’une amende civile, cette décision relevant du seul office du juge ;
Considérant que la société Bloobox Net ne justifie pas des circonstances ayant fait dégénérer en abus le droit pour M. M. d’agir en justice ; que la demande en payement de dommages et intérêts pour procédure abusive doit être écartée ;
Considérant que l’équité commande de ne pas prononcer de condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que M. M. qui succombe en ses prétentions doit supporter les dépens de première instance et d’appel ;
DECISION
Par ces motifs :
. Infirme l’ordonnance entreprise ;
. Déclare irrecevable la demande de la société Bloobox Net en payement d’une amende civile ;
. Déboute la société Bloobox Net de sa demande en payement de dommages et intérêts ;
. Dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
. Condamne M. Olivier M. aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.
Commentaires publiés à l’origine sur Intlex.org, puis recopiés sur Valhalla.fr à la fermeture du site.
Auteur : RemyA (29 nov. 2008)
Il y a une interprétation de la notion d’hébergeur qui me gène dans cet article : le fait de le limiter à l’aspect matériel et donc de ne laisser le titre d’hébergeur qu’au propriétaire du matériel (machine, disque et réseau). L’opérateur d’un logiciel (celui qui le fait tourner et en assure la maintenance et la disponibilité à ses utilisateurs) ne doit il pas aussi être considéré comme un hébergeur tant qu’il n’a aucune activité de modification sur les informations entrées dans le logiciel par un de ses utilisateurs ?
Quand on voit comment fonctionne fuzz (il suffit de s’inscrire en tant qu’utilisateur pour s’en rendre compte), on voit bien que toutes les modifications viennent des utilisateurs du site/logiciel. Même la mise en avant des informations provient du vote des seuls utilisateurs et non d’une activité quelconque de l’opérateur du site. La liste des catégories possibles est effectivement fournie par l’opérateur, mais elles sont toutes traitées de la même façon et c’est l’auteur qui choisit la catégorie de ce qu’il publie. Nous sommes bien dans le cas où il n’y a pas de directeur de publication ou de producteur, c’est à dire une activité éditoriale orchestrée par Bloobox.
Si je reprend l’analyse publiée dans un article précédent, il semble que la notion de stockage des informations sans traitement de leur sémantique est primordiale. Je pense que c’est ce qui se passe dans le cas d’un opérateur tel que Fuzz. Les informations sont préparées par l’utilisateur sur son ordinateur (grâce au navigateur qu’il utilise pour accéder au site), envoyées au site au moyen d’un protocole de communication (http) qui les stocke de manière automatique dans les champs d’une base de données pour stockage. Même la façon de structurer l’information (qui pourrait s’apparenter à de la sémantique) est choisi par l’utilisateur puisque c’est lui qui choisit sur son ordinateur ce qui doit aller dans le titre, la description ou le champ lien. Il n’y a donc pas traitement de l’information par Fuzz, et c’est bien Fuzz qui paye le stockage, donc qui héberge l’information. Sans Fuzz, cette information ne pourrait être stockée sur les machines physiques, mais Fuzz ne fait que permettre le stockage et l’accès à l’information créée par l’utilisateur.
Maintenant, si la loi prévoit des contraintes (log des actions des utilisateurs par exemple pour une période donnée) associé à ce statut d’hébergeur, je ne vois aucune raison technique majeure empêchant son application pleine et entière. Dans certains cas, il faudra décider qui est vraiment l’hébergeur et donc qui a la charge de cette contrainte. Par exemple, si je suis mon bon sens, l’opérateur d’une plateforme de blog tels que typepad blogger ou skyblogs est clairement l’hébergeur, l’auteur d’un article dans un blog ne sera responsable que de ce qu’il écrit (il n’héberge rien) et les personnes posant des commentaires (quel que soit leur type) seront responsables de leurs propres écrits (eux non-plus n’héberge rien).
Evidemment, cette interprétation implique que les personnes s’estimant lésées devront s’attaquer au créateur de l’information et donc faire une étape supplémentaire dans la recherche du responsable, au delà de l’hébergeur. Mais les moyens techniques d’aujourd’hui permettent de tracer ainsi les utilisateurs et la loi donne les moyens au défenseur de faire disparaître l’information illicite en passant par l’hébergeur.
L’article pose néanmoins une bonne question : quelle est la responsabilité de l’auteur d’un lien hypertexte ?
Auteur : GF (4 déc. 2008)
Votre réponse est intéressante. Vous avez fait, en quelques lignes, une bonne synthèse de la position retenue par la Cour de Paris. Je vais tenter de vous répondre, en faisant la remarque suivante à titre liminaire : il faut bien distinguer, dans le débat sur la responsabilité des intermédiaires, les questions qui relèvent du pur droit -ou de la technique juridique- de celles qui relèvent de l’opportunité. Ainsi, je maintiens que le statut d’hébergeur est réservé exclusivement aux intermédiaires techniques, tant dans l’esprit de la directive « commerce électronique » que dans celui de la LCEN. On voit bien en lisant la LCEN que la personne qui loue auprès d’un tiers une infrastructure ou un service lui permettant d’exploiter cette infrastructure est la destinataire des services d’hébergement, tandis que la personne qui met l’infrastructure à disposition est l’intermédiaire technique. La question de savoir si ces qualifications sont encore opportunes en 2008 (la directive date de 2000) est différente. A mon avis elle ne le sont plus tellement, mais je ne suis pas entré dans ce débat dans l’article ci-dessus. Il faudrait changer la directive, puis changer la loi. Mais il est dangereux de modifier la qualification sans revoir tout le régime de responsabilité des intermédiaires car ce régime n’a pas été conçu pour être appliqué aux particuliers, « blogueurs » et autres acteurs du Web 2.0.
1) L’opérateur d’un logiciel
La question que vous soulevez est intéressante. Je pense qu’il faut distinguer plusieurs cas : celui du concepteur ou de l’administrateur du logiciel, celui de son exploitant, et celui de son utilisateur. Pour prendre un exemple concret, ce site est conçu autour du logiciel SPIP, on distinguera donc : les concepteurs de SPIP, moi qui ai téléchargé puis installé SPIP sur les serveurs de mon hébergeur (exploitant), et vous qui utilisez le forum au bas de l’article (utilisateur). Appliquons maintenant le régime de responsabilité, tel que prévu par la LCEN puis tel qu’appliqué par la Cour. 1) LCEN : les concepteurs de SPIP, au même titre que mon hébergeur Celeonet (cf. lien en bas de page) sont des intermédiaires techniques qui me permettent de diffuser ce site sur le Web, ils bénéficient à ce titre du régime d’irresponsabilité des hébergeurs ; je suis l’éditeur du site en ce que je contrôle son contenu ; vous êtes l’auteur de ce que vous écrivez. 2) Cour : on ne sait pas ce que sont les concepteurs de SPIP ni l’hébergeur Celeonet ; je suis hébergeur et vous pouvez diffamer à tout va car, en tant qu’auteur, vous êtes seul responsable.
2) Fonctionnement de Fuzz
Je ne suis pas persuadé qu’il n’y ait pas de directeur de la publication. Le responsable du site (personne physique) pourrait recevoir cette qualification. Qu’il assume cette qualification ou non, qu’il connaisse son existence ou non, cela n’empêche pas qu’un tribunal puisse la lui attribuer. Une affaire qui fait actuellement grand bruit : l’ancien directeur de la publication de Libération amené de force devant le juge d’instruction dans le cadre d’un procès en diffamation pour des propos publiés sur le site Web du journal. Dans tous les cas, supprimer la qualification de directeur de la publication n’est pas si facile, dans la mesure où il a la charge, entre autres, de permettre le droit de réponse (art. 6-IV LCEN : La demande d’exercice du droit de réponse est adressée au directeur de la publication ou, lorsque la personne éditant à titre non professionnel a conservé l’anonymat, à la personne mentionnée au 2 du I [l’hébergeur] qui la transmet sans délai au directeur de la publication.).
En revanche, je suis d’accord avec vous sur l’automaticité du fonctionnement de Fuzz et des autres « digg-like ». Il est vrai que le créateur du site n’intervient pas dans son fonctionnement… mais, pourtant, rien de l’empêche de modérer a priori les informations qui sont soumises à publication. Je suis également d’accord pour dire qu’imposer la modération a priori reviendrait à instaurer une censure généralisée et serait très nuisible au Web français. C’est pour cette raison que je pense qu’il est nécessaire de modifier la loi, afin d’instaurer un régime véritablement équitable.
Cependant, il y a tout de même quelque chose qui me gène (énormément) : le fait que certaines personnes (physiques ou morales, je ne vise personne en particulier) obtiennent des tribunaux de pouvoir 1) faire de l’argent sur Internet (par la publicité, comme beaucoup de sites communautaires, ou par une activité commerciale, comme l’activité de courtage de eBay par exemple), 2) sans s’occuper de leurs sites, sans même le visiter régulièrement pour vérifier ce qui s’y publie, 3) sans être responsable de quoi que ce soit. C’est un peu le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière…
3) Les contraintes imposées par la loi
Ces contraintes sont très clairement exorbitantes pour les particuliers, à plusieurs points de vue (technique, juridique, financier…). Je ne vais pas faire de liste exhaustive, les obligations suivantes sont assez représentatives :
- mettre en place un dispositif facile d’accès permettant aux internautes de signaler certains types de contenus illicites (apologie du nazisme, négationnisme, incitation à la haine raciale, pédophilie, etc.) et rendre publics les moyens mis en oeuvre pour lutter contre ces contenus ;
- le non respect de ces obligations est puni d’un an de prison et de 75.000 euro d’amende (franchement, à ce prix là, avoir un blog devient plus dangereux que de pirater des MP3 toute la journée…)
- les clients d’un hébergeur qui éditent leur site à titre non-professionnel peuvent conserver l’anonymat, ils doivent alors mentionner le nom, la raison sociale, l’adresse de l’hébergeur ; par conséquent, si le responsable d’un blog est hébergeur, il devrait donner son nom et son adresse (je n’ai pas très envie de donner mon adresse sur le Web…) ;
- surveiller chaque information publiée sur un site hébergé lorsque l’autorité judiciaire en fait la demande ;
- recevoir les demandes de retrait d’informations illicites ;
- conserver les données d’identification des personnes ayant créé du contenu (ça va faire beaucoup d’IP à stocker…)
- etc.4) Skyblog et co.
Skyblog serait l’hébergeur, le propriétaire du blog l’auteur d’un billet, voire l’éditeur du blog, et les internautes les auteurs des commentaires sous ce billet. Ici, Skyblog est intermédiaire technique car il met effectivement à disposition une infrastructure technique permettant aux blogueurs de créer un blog et d’en faire ce qu’ils veulent. On pourrait tout de même contester cette qualification dans la mesure où tous les blogs sont sous le nom de domaine skyblog, mais ce serait aller un peu loin (… quoi que, si cela a vraiment créé une confusion dans l’esprit du public, pourquoi pas). En revanche, je pense que l’auteur du blog est bien éditeur lorsqu’il permet aux internautes de réagir car, comme vous le dites, « il n’héberge rien » (et comme si on n’est pas hébergeur c’est qu’on est éditeur…). Les internautes restent auteur de ce qu’ils écrivent, mais ils n’ont aucune possibilité de contrôler le contenu du blog, il est donc exclu qu’ils soient qualifiés d’éditeurs.
5) La responsabilité de l’auteur d’un lien
La question est intéressante, mais pas vraiment compliquée. Le lien lui même (http…) peut difficilement être illicite (difficilement car cela serait concevable par exemple s’il s’agit d’un permalink généré par WordPress ou un autre logiciel de blog qui contient le titre complet de l’article). Le titre du lien sera illicite s’il véhicule un message illicite. En revanche, on ne peut pas assimiler le contenu de la cible du lien avec le lien ou son titre. Pour que le lien soit illicite, il doit l’être per se et non par ce vers quoi il renvoie.
Auteur : RemyA (11 déc. 2008)
Je suis heureux que nos opinions se rejoignent sur plusieurs points et des éclaircissements que vous apportez à mon propre raisonnement. Il en ressort que la loi a besoin d’évoluer pour refléter l’évolution de la technologie et des pratiques associées. Je reste quand même dubitatif sur la frontière imposée (la propriété des machines) pour le «statut» d’hébergeur : vous semblez dire que Skyblog est un hébergeur aux yeux de la loi, et non Fuzz, alors que d’après mes informations, leur différence est que SkyBlog loue de l’espace, de l’électricité et de la bande passante mais possède ses machines, tandis que Fuzz loue aussi ses machines. Il me semblerait plus juste que cette frontière soit posée en définissant ce qu’est un éditeur, c’est à dire ayant clairement la volonté et les moyens de contrôler le contenu : on pourrait dire alors «si on n’est pas éditeur ou auteur, c’est qu’on est hébergeur». J’ai l’impression que c’est l’attitude que la justice a prise dans le cas de Fuzz (simple espérance peut-être). Cela s’appliquerait aussi à Vittorio de Filippis d’après ce que je sais de l’affaire. Et je le répète, toute personne ou entreprise bénéficiant de la protection du statut d’hébergeur devrait aussi en avoir les contraintes. Je ne les connais pas toutes malheureusement, mais celles que vous avez énumérées sont à la portée technique d’un particulier à condition que les concepteurs des logiciels qu’il utilise se mettent au boulot (quand on pense à la capacité modulaire des plateformes de blogs majeures et de la quantité de plugins développés pour ces plateformes, ce n’est pas une utopie selon moi). PS : Désolé pour le manque de suivi dans cette conversation.
Auteur : GF (11 déc. 2008)
1) Sur Skyblog
Dans mon raisonnement, Skyblog devrait en effet être considéré comme hébergeur, mais cela n’a pas encore été jugé -le doute est donc permis. Pour reprendre l’exemple et en schématisant, Fuzz est un site unique, mis en place par une personne, afin de publier du contenu soumis par les internautes. Si l’on se place du côté de l’internaute visiteur, on peut considérer qu’il y a, sur ce site, un seul espace « global » auquel on accède par une adresse URL unique. En revanche, pour Skyblog, l’espace « global » se limite aux pages web éditées par Skyblog. Tous les blogs hébergés constituent des espaces « particuliers », chacun étant attribué à une personne déterminée. En pratique, ces espaces sont bien différenciés par les adresses URL : http://machin.skyblog, http://truc.skyblog, etc. Ainsi, il ne peut pas y avoir de confusion dans l’esprit des internautes : ce qui est sur le blog de Machin ne peut pas être attribué à Truc.
L’exemple par les URL et les domaines est certes un peu simpliste, mais je pense qu’il est assez caractéristique de la différence entre les deux types de sites. On pourrait adopter un autre raisonnement, plus abstrait, et se demander quel est l’objet de chacun de ces sites. L’objet d’un Digg-like pourrait être de « regrouper des liens soumis par les Internautes concernant un sujet prédéterminé » alors que l’objet d’un hébergeur de blogs pourrait être de « mettre à disposition des internautes de l’espace disque et un logiciel de blog préinstallé afin que chacun puisse s’exprimer ». Il y a une différence majeure : bien que ni le Digg-like ni l’hébergeur de blog ne déterminent directement le contenu du site, le Digg-like, contrairement à l’hébergeur de blog, définit un cadre dans lequel les internautes peuvent s’exprimer. Sur le fond, comme l’a relevé le TGI, le Digg-like détermine le ou les thèmes sur lesquels les articles soumis doivent porter ; il les organise en catégories. On peut ainsi faire un Digg-like généraliste ou, au contraire, limité à un domaine très précis. Sur la forme, c’est la même chose : l’auteur d’un blog sur Skyblog peut choisir la présentation de celui-ci, alors qu’un internaute qui soumet un lien sur un Digg-like n’a aucune influence sur les liens soumis par les autres internautes.
On voit bien que l’auteur du blog sur Skyblog peut opérer des choix éditoriaux pour l’ensemble de son site alors que l’internaute qui soumet un lien sur un Digg-like ne le peut pas. Au contraire, la société qui édite le Digg-like peut se réserver le droit de modifier le contenu apporté par l’internaute en stipulant une clause d’abandon des droits de propriété intellectuelle. Par exemple, puisqu’on parle de Fuzz, on peut lire dans ses conditions générales d’utilisation (c’est-à-dire le contrat entre la société éditrice et l’internaute utilisateur) : « (..) FUZZ.FR, site Internet édité par la société BLOOBOX.NET (…) FUZZ.FR est un site web évolutif hébergeant des informations générales dont le principe repose sur l’agrégation et la diffusion d’informations proposées par les Membres. (…) Le membre s’engage à céder définitivement et irrévocablement à FUZZ.FR l’ensemble de ses droits, intellectuels et autres, sur ses contenus. Le Membre accorde par conséquent à FUZZ.FR tous les droits pour la modification, la copie, la distribution, l’envoi, la reproduction publique, la publication, le perfectionnement, la cession ou toute autre utilisation des contenus transmis sans que le membre ou une tierce personne ne puisse réclamer de droits sur les contenus. De même, le Membre accepte expressément que FUZZ.FR ait un droit illimité à examiner, retarder ou exclure, totalement ou partiellement, les contenus transmis et/ou la reproduction de celles-ci. ». Je doute de la porté normative d’une telle clause, car l’on ne peut pas renoncer en bloc et inconditionnellement à tous ses droits de propriété intellectuelle. Cependant, il apparaît clairement que la société éditrice de Fuzz a l’entier contrôle du contenu publié… n’est-ce pas la définition même de l’éditeur ?
2) Un raisonnement intéressant sur les activités composites
Un article récent paru dans la revue Lamy droit de l’immartériel (RLDI n°43, nov. 2008, p. 33) met en relief une problématique intéressante : celle des activités « composites ». Ainsi, un service comme eBay est à la fois hébergeur et éditeur car il lui est nécessaire, pour exercer son activité commerciale de courtage, d’héberger du contenu soumis par les internautes. Dans ce cas, le tribunal de commerce de Paris (30 juin 2008) a décidé qu’eBay n’était pas un hébergeur car son activité d’hébergement n’est pas une fin en soi ; elle concourt au contraire à la réalisation d’une activité commerciale qui est la véritable finalité du site. Je trouve le raisonnement très intéressant.
Ce raisonnement est d’ailleurs confirmé par la Commission européenne (citée par l’article préc.) qui nous dit que, selon elle, « seule une partie des activités des gestionnaires de sites d’enchères électroniques tombe clairement dans le champ d’application de l’article 14 de la directive 2000/31/CE entraînant l’absence de responsabilité : il s’agit de la pure activité de stockage d’information provenant de tiers. Les activités économiques accompagnant ce stockage d’information ne sont pas concernées par l’exemption de responsabilité ». Je pense que la présence de bandeaux de publicité, ainsi que le fait que le site soit édité par une société commerciale, devrait suffire à caractériser l’activité économique.
3) Enfin, une dernière remarque : la communauté des internautes intéressés par ces questions a beaucoup trop souvent tendance à considérer les sites communautaires qualifiés d’éditeurs comme des « victimes » de ces décisions de justice. C’est oublier que la « vraie » victime est la personne qui subit la diffamation, l’injure, la contrefaçon, etc.
Auteur : RemyA (11 déc. 2008)
1°) Au sujet de Skyblog, vous avez raison de dire que rien n’est fait car on pourrait lui appliquer le raisonnement de votre point numéro 2. La finalité du site est économique, car
la présence de bandeaux de publicité, ainsi que le fait que le site soit édité par une société commerciale, devrait suffire à caractériser l’activité économique.
Quand à Fuzz, vous venez sans doute de démontrer que le mieux est souvent l’ennemi du bien dans le cadre des conditions générales d’utilisation d’un site web :-) Il faudrait d’ailleurs que je trouve moi-même la bonne façon d’exprimer pour un hébergeur les conditions d’utilisation permettant d’exercer les contraintes légales (retrait d’un contenu signalé illicite par exemple). Bon, un peu de lecture des conditions des hébergeurs de pages personnelles devrait suffire. Il reste néanmoins que même si ses conditions générales permettraient à Fuzz de jouer le rôle d’un éditeur, il faudrait démontrer qu’il le fait effectivement dans le cadre du site. Or son
principe repose sur l’agrégation et la diffusion d’informations proposées par les Membres.
Donc l’édition est en dehors du cadre de ce site. Je vous accorde que ses conditions générales sont extrêmement mal écrites et prêtent à confusion, mais ne serait-il pas juste qu’un plaignant démontre que fuzz agit comme un éditeur ? Le fait qu’il peut l’être ne me semble pas suffisant.
2°) Sur l’aspect économique, et le fait qu’il peut engendrer une responsabilité, je dois avouer un sentiment de malaise face à votre attitude, et celle de la commission semble-t-il, sur le sujet. J’ai du mal à accepter que la finalité économique d’un site puisse changer le régime de responsabilité quand les actions des uns et des autres, que le site soit commercial ou non, ne changent en rien. Si il n’y avait pas de pubs sur Fuzz, l’auteur du post illicite l’aurait quand même publié.
J’aimerai ici utiliser une analogie, peut-être simpliste, mais en rapport avec les différents intervenants évoqués au début de votre précédentes réponse, et essayer de comparer la situation de Fuzz à celle d’un quincaillier. Le propriétaire de son local s’apparenterait à l’hébergeur de Fuzz. Le fabricant des couteaux que vend ce quincaillier au concepteur du logiciel digg-like qu’utilise Fuzz (le quincaillier n’aurait pas de raison d’être si il ne pouvait rien vendre, et Fuzz n’existerait pas sans le logiciel). Et l’utilisateur de Fuzz serait alors l’acheteur d’un couteau. Si ce dernier utilise le couteau de manière illicite, quelle est la responsabilité du quincaillier ? En quoi le fait que son activité soit commerciale peut-elle changer sa responsabilité ?
J’ai peut-être une analogie plus appropriée encore. Comparons Fuzz à une société de courtage en bourse. Et un utilisateur de Fuzz à un client de cette société. Cette société à des locaux (hébergeur) et utilisent des logiciels (venant d’un concepteur) en tous genres pour réaliser les ordres de ses clients. Si l’un d’eux commet un délit d’initié, quelle est la responsabilité du courtier ? En quoi le fait que son activité soit commerciale peut-elle changer sa responsabilité ?
Autant de questions qu’il faudra se poser quand la loi ou le règlement européen sera revue (si cela arrive un jour).
3°) Difficile de considérer quelqu’un comme une victime quand on subodore que son recours à la justice n’est pas vraiment une recherche de la justice.
J’ai toujours eu l’impression que les levers de boucliers étaient toujours en faveurs de petits sites et que les poursuites judiciaires subies par Google, Yahoo, E-Bay voire Facebook et consorts ne ralliaient pas forcément de nombreux défenseurs.
J’ai aussi l’impression que les personnes considérant ces sites sociaux comme des victimes n’oublient pas que les plaignants sont aussi des victimes, seulement ils estiment que ceux-ci se trompent de cibles, ou pire, essaient d’utiliser les aspects ambigus de la loi pour en retirer un bénéfice, en attaquant le plus largement possible. Il est difficile dans ces cas-là d’éprouver de la sympathie pour les plaignants.
Par contre, je déplore, comme vous sans doute, les manifestations imbéciles de ces «défenseurs» qui ne peuvent exprimer autrement leurs opinions qu’en utilisant des noms d’oiseaux à l’encontre des plaignants. Il sera toujours plus judicieux et plus efficace d’argumenter et de discuter pour faire évoluer une situation qui ne nous plaît pas.
Auteur : RemyA (11 déc. 2008)
J’ai oublié de parler de l’aspect digg-like vs skyblogs. (point numéro 1)
Votre raisonnement est intéressant mais je pense qu’il pêche sur un point : même si le digg-like définit un cadre d’utilisation du site, il faudrait pour le considérer comme éditeur, qu’il ait un comportement actif visant à faire respecter ce cadre. Tant que ce cadre est indicatif sans aucun moyen de le rendre obligatoire, comment peut-on considérer le digg-like comme un éditeur ? D’ailleurs, je fais la remarque que si l’on pousse le raisonnement assez loin, Skyblog (et consorts) définit un cadre en interdisant les contenus illicites (bien entendu issu de la loi) , mais cela reste un cadre tout de même.
A la réflexion, nous devrions arrêter d’utiliser SkyBlogs comme exemple de candidat hébergeur. Ils ont une politique de filtrage du contenu qui se rapproche bien plus de la notion d’édition que tout ce qui existe dans les digg-like, notamment, la plupart des photos publiés sur le site sont vérifiées avant d’apparaître publiquement. Essentiellement pour des raisons tout à fait louables de protection des mineurs, la plupart des utilisateurs de SkyBlogs étant très jeunes. Le remplacer par typepad ou la plateforme de blog de Gandi serait plus judicieux.
Auteur : GF (12 déc. 2008)
1) Sur le point 1
Je suis d’accord sur le fait que ce qui compte pour la qualification (éditeur/hébergeur), c’est l’activité réelle et non ce qui est écrit dans les conditions générales d’utilisation du service. Cependant, je me suis mal exprimé sur la distinction entre être et pouvoir être. Je voulais dire, en réalité, que le véritable hébergeur, le pur intermédiaire technique, n’a ni les moyens matériels ni le droit d’éditer les sites de ses clients, alors que l’éditeur qui prétend à la qualification d’hébergeur n’invoque cette dernière à son bénéfice que parce qu’il a renoncé à exercer des fonctions éditoriales. On retombe sur le même problème : ce renoncement est artificiel ; il ne repose pas sur une impossibilité matérielle ou juridique, c’est en définitive comme s’il était annoncé dans les conditions générales d’utilisation.
Le décalage entre la réalité technique et la fiction juridique est évident. Prenez un informaticien (un développeur Web, ce serait parfait) et demandez-lui « Digg.com est-il un hébergeur ? ». Il répondra non. Demandez ensuite « ovh.fr est-il un hébergeur ? ». Il répondra oui. La directive « commerce électronique » a été élaborée à une époque où les rôles étaient clairement définis sur Internet (avant l’avènement dudit Web 2.0). Ils ne le sont plus si clairement aujourd’hui, et c’est pour cela que l’on tente par des fictions juridiques d’élargir la notion d’hébergeur au delà de ce qui avait été prévu à l’origine.
Sur la charge de la preuve, c’est l’opérateur qui demande le bénéfice du régime d’irresponsabilité des intermédiaires techniques qui doit démontrer qu’il est effectivement un intermédiaire technique.
2) Sur le point 4
Votre raisonnement sur l’obligatoriété du cadre est très pertinent, au point d’avoir été utilisé par les tribunaux américains récemment (je n’ai plus les références en tête, mais je peux les retrouver au besoin). Il s’agissait en l’espèce de deux sites permettant aux internautes de mettre en ligne des offres de vente ou de location de biens immobiliers. Les deux sites demandaient aux internautes de s’inscrire avant de publier des annonces. Le premier obligeait les internautes à remplir tous les champs du formulaire d’inscription, tandis que le second ne rendait obligatoires que certains champs. Le premier a été qualifié d’éditeur et le second d’hébergeur. Si le raisonnement, dans l’abstrait, paraît juste, on voit bien qu’en réalité la distinction est totalement artificielle et qu’elle conduit à des solutions injustes.
En réalité, on en revient toujours un peu au même problème. Je crée un site qui permet aux gens d’écrire ce qu’ils veulent sur ce qu’ils veulent, et j’en fais commerce. De là, deux possibilités :
- je contrôle très activement les écrits qui sont soumis car je ne veux pas de contenu illicite ; mais, un jour, un contenu illicite passe quand même les mailles du filet : je suis éditeur car je contrôle habituellement le contenu, je suis donc responsable.
- je ne contrôle pas le contenu parce que c’est du travail supplémentaire qui ne me rapportera pas un sous de plus et, de cette manière, si un message illicite est publié je pourrai dire que je suis hébergeur et échapper à toute responsabilité.Je trouve cela très paradoxal et profondément inéquitable.
3) Sur l’aspect économique
Dans le langage de la Commission, activité économique ne signifie pas forcément activité commerciale ou lucrative. En substance, la Commission dit qu’il faut distinguer l’activité économique de stockage des autres activités économiques. C’est le même raisonnement que ci-dessus pour eBay : le stockage est-il une fin en soi, ou est-il une étape nécessaire pour la diffusion de l’information sur le réseau ? L’hébergeur ne fait que stocker, il ne prend pas l’initiative de la diffusion. Les sites communautaires, au contraire, prennent l’initiative de diffuser des informations (fournies par des tiers, peu importe). En d’autres termes, le contenu stocké par l’hébergeur est inerte, c’est l’éditeur qui, en le diffusant, lui donne vie. L’activité économique pourrait ici être conçue comme la publication d’un contenu.
Quant à l’exemple de la quincaillerie, je l’aime beaucoup. C’est un grand classique en droit pénal : on peut acheter un couteau, mais on ne peut pas s’en servir pour tuer ; ce qui signifie que ce n’est pas l’outil qui est illicite en soi (sauf exceptions, comme toujours) mais l’usage qui en est fait (v. pour les nouvelles technologies les arrêts Betamax et Grokster de la Cour suprême des Etats-Unis). Ce raisonnement est totalement valable en règle générale, mais il ne l’est pas en droit de la presse. En effet, dans cette matière, les personnes responsables sont définies a priori par la loi. Peu importe qu’elles soient socialement ou moralement « coupables », elles seront responsables juridiquement « de plein droit », parce que la loi le dit (c’est une responsabilité « sans faute » ou « objective »). Pour le coup, le caractère économique de l’activité n’y change rien.
3) Sur le troisième point, je ne suis pas d’accord. On peut raisonner d’un point de vue social comme vous le faites (et là je serais assez d’accord), mais ce n’est pas valable en droit. La victime n’est pas « considérée » victime, elle « est » victime parce qu’elle subit un préjudice. Peu importe que le recours en justice, qui survient après la réalisation du préjudice (sauf mesures conservatoires, mais on ne va pas compliquer l’affaire), ait pour but de punir l’auteur ou d’obtenir de l’argent, le juge est tenu de réparer le préjudice, ni plus ni moins. Il ne peut pas enrichir indûment la victime ni punir l’auteur (quoi qu’en droit de la presse on voit parfois des dommages-intérêts qui ont une certaine coloration punitive, mais bref…). En tout cas, une chose est certaine, celui qui intente un recours en justice dans un procès civil n’a jamais comme intention d’obtenir la justice ; il est légitime qu’il cherche à obtenir la réparation de son préjudice mais si, en son for intérieur, il cherche à punir l’auteur, c’est tout aussi légitime.
Le Conseil Constitutionnel a qualifié de droit fondamental le droit d’être indemnisé d’un préjudice. Pourtant, on ne peut pas dire que le droit français aille trop loin dans la logique de l’indemnisation (malgré le courant actuel d’objectivisation de la responsabilité civile). Dans d’autres pays la logique est poussée bien plus loin : aux Etats-Unis par exemple, vous sauvez la vie d’une personne et lui cassez un ongle dans le feu de l’action, vous pourrez être poursuivi (oui, je caricature, mais j’exagère à peine).
Sur le fait qu’ils se « trompent de cible », je ne pense pas non plus que ce soit le cas. D’une part, c’est une réaction assez naturelle d’attaquer « un site » comme on attaque « un journal » lorsqu’on lit sur ce site ou dans ce journal des propos diffamatoires, attentatoires à notre vie privée, etc. D’autre part, il faut bien reconnaître que c’est la seule action qui a une chance d’aboutir : qui d’autre attaquer, en effet, dès lors que l’auteur est anonyme ?
Auteur : Pierre C. (28 nov. 2008)
Il n’y aucun régime d’irresponsabilité de l’hébergeur. La Cour comme la Lcen disent simplement que pour engager la responsabilité d’un acteur de type Bloobox, on doit préalablement lui notifier un contenu illicite et s’il n’agit pas promptement, alors seulement on peut engager sa responsabilité. La Cour constate que Martinez n’a pas respecté cette procédure légale et (pour une fois) de bon sens. Il n’y aucune irresponsabilité de l´hébergeur. C’est grave d’écrire des choses pareilles.
Auteur : GF (4 déc. 2008)
Vous dites que les hébergeurs ne bénéficient pas d’un régime d’irresponsabilité, et qu’il est grave d’écrire le contraire. Vous avez tort.
L’article 6 LCEN dispose : « Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible. »
Pour moi, quelqu’un qui « ne peut voir sa responsabilité civile engagée » est irresponsable. Par conséquent, il y a bien un régime d’irresponsabilité des intermédiaires techniques. Ce régime d’irresponsabilité porte sur les actes matériels qui ont conduit à la publication et à la diffusion de l’information. En d’autres termes, les intermédiaires techniques ne sont pas les auteurs des délits de presse.
Pour autant, cela ne veut pas dire que les intermédiaires techniques ne sont responsables de rien. Cela ne veut pas dire que leur irresponsabilité est absolue. Ils sont, comme vous le dites, responsables lorsqu’ayant eu connaissance d’un contenu illicite, ils n’ont pas agi pour en faire cesser la diffusion. La responsabilité des intermédiaires est donc une responsabilité pour carence ou négligence, qui est totalement différente de celle des auteurs des délits de presse. Les hébergeurs sont en quelque sorte au monde virtuel ce que les imprimeurs sont au monde réel.
Il est donc tout à fait exact de dire que les intermédiaires techniques bénéficient d’un régime d’irresponsabilité pour les délits de presse en ligne. Il aurait en revanche été inexact de dire que cette irresponsabilité est totale, et cela n’a pas été dit.
Auteur : Pierre C., toujours aussi arrogant (7 déc. 2008)
Je vous cite : «Ils sont, comme vous le dites, responsables lorsqu’ayant eu connaissance d’un contenu illicite, ils n’ont pas agi pour en faire cesser la diffusion».
C’est vous le juriste, pas moi, je vous laisserait donc vérifier que l’article 6 ne mentionne pas d’ irresponsabilité mais précise les conditions de la responsabilité. Ce qui n’est pas la même chose.
• 9679 mots • #Internet #société #Juridique #Web #Actualité #serveur #Propriété intellectuelle #NTICAuteur : GF (10 déc. 2008)
Comme vous le dites, vous n’êtes pas juriste. Vous confondez principe et exception. Le principe est celui de l’irresponsabilité, la responsabilité étant l’exception. Il y a donc bien un régime d’irresponsabilité qui s’applique dans toutes les situations « normales », et une exception de responsabilité en cas de carence de l’hébergeur, c’est-à-dire dans les situations « anormales ».
La qualification d’hébergeur ou d’éditeur, élément déterminant le régime de responsabilité applicable, au centre du débat
Article publié à l’origine sur Intlex.org, puis recopié sur Valhalla.fr à la fermeture du site.
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1) En droit français, le régime de responsabilité des intermédiaires techniques d’Internet est un régime spécial, qui déroge au droit commun. Il est défini par la Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique (Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 ; spéc. l’article 6-I).
L’article 6-I-1 LCEN impose certaines obligations particulières aux fournisseurs d’accès. D’autres obligations sont communes aux fournisseurs d’accès et d’hébergement (article 6-II LCEN) : il s’agit de l’obligation d’identification des acteurs du réseau et de conservation des données susceptibles d’avoir une valeur probatoire.
L’article 6-I-2 et -3 LCEN définit le régime de responsabilité –ou plutôt d’irresponsabilité– des hébergeurs et des fournisseurs d’accès.
2) La question la plus importante à l’heure actuelle est certainement celle de la qualification d’hébergeur ou d’éditeur.
On pourrait faire un parallèle téléologique entre l’irresponsabilité moderne des intermédiaires techniques et la responsabilité limitée des imprimeurs résultant de l’article 43 de la loi de 1881.
Deux courants jurisprudentiels s’affrontent : la société qui met en ligne un site permettant aux internautes d’apporter leur contenu est qualifiée parfois d’hébergeur et parfois d’éditeur. La jurisprudence est incertaine et de nombreuses décisions sont rendues en équité, eu égard aux bénéfices tirés de l’exploitation du site par la société défenderesse ou à son comportement actif de mise en valeur de certains contenus fournis par les internautes.
3) La responsabilité des intermédiaires est alternative et non subsidiaire : le demandeur peut se diriger contre les fournisseurs d’accès sans avoir engagé, au préalable, d’action au fond contre l’hébergeur.
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Une nouvelle catégorie d’acteurs a été créée par la LCEN, parallèlement et par opposition à celle des hébergeurs : la catégorie des destinataires des services d’hébergement. Il s’agit des éditeurs, des directeurs de la publication et des auteurs de contenu, au sens de la loi de 1881.
Ces catégories, à l’exception de celle de directeur de la publication, ne correspondent pas aux personnes visées par la responsabilité en cascade de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 (directeur de la publication, auteur, producteur).
Les éditeurs, destinataires des services d’hébergement, sont les responsables des délits de presse.
La notion de prestataire technique est complexe dans la directive commerce électronique ((Directive 2000/31/CE relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), du 8 juin 2000 (JOCE 178/1/2000 du 17 juillet 2000).)).
Trois types de prestataires sont identifiés, qui correspondent à trois grands rôles dans le commerce électronique :
- Les prestataires qui sont en charge du transport de l’information : il s’agit des fournisseurs de l’infrastructure technique, aussi appelés fournisseurs d’accès à Internet ou FAI (p. ex. France Télécom) ;
- Les prestataires de stockage temporaire (« caching » ; p. ex. Google qui conserve le contenu de certains sites sur ses propres serveurs);
- Les prestataires d’hébergement (p. ex. ovh.net, celeonet.fr, 1et1.fr, etc.)
Il faut ajouter à ces acteurs ceux désignés par l’article 93-2 de la loi de 1982 sur la communication audiovisuelle. La LCEN ne reprend pas toutes ces distinctions ; on se centrera donc, par la suite, sur la distinction entre les hébergeurs et les éditeurs.
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La doctrine majoritaire s’est longtemps prononcée pour l’établissement d’un régime de responsabilité allégée : il ne s’agissait pas d’une irresponsabilité totale, mais d’une responsabilité pour faute grave. Ainsi, dans le cadre de la loi de 1881, l’hébergeur ne peut être considéré comme directeur de la publication ou producteur.
La responsabilité des hébergeurs a évolué en plusieurs temps :
- L’ancienne jurisprudence considérait que les hébergeurs étaient tenus à une obligation de vigilance ((Exemple topique, la célèbre affaire « Altern.org » : TGI Paris (réf.), 8 juin 1998, Estelle Hallyday c. Altern.org : JCP E 1998.953, note Vivant et Le Stanc ; V. aussi : P. AUVRET, Application de la loi de 1881 à la communication en ligne - Responsables des délits de presse, JCL Communication du 15 mars 2006, Fasc. 4865, §18)).
- La loi du 1er août 2000, censurée par le Conseil Constitutionnel, prévoyait un régime de responsabilité allégée ((ibid. §19)).
- L’article 6-I LCEN organise aujourd’hui l’irresponsabilité civile (art. 6-I-2) et pénale (art. 6-I-3, même formule), sous certaines conditions, des hébergeurs ((ibid. §19-21)).
Aux termes de l’article 6-I-2 LCEN, les personnes assurant la fourniture d’hébergement «ne peuvent voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou des faits de circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible».
Le Conseil Constitutionnel a précisé que le caractère illicite de l’information devait être manifeste, ou que le retrait de cette information devait avoir été ordonné par un juge, pour que la responsabilité des intermédiaires puisse être engagée ((DCC n° 2004-496, 10 juin 2004)) :
« Considérant que les 2 et 3 du I de l’article 6 de la loi déférée ont pour seule portée d’écarter la responsabilité civile et pénale des hébergeurs dans les deux hypothèses qu’ils envisagent ; que ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge… »
Il existe en outre une procédure de notification, définie à l’article 6-I-5, qui doit être suivie par toute personne demandant à un intermédiaire technique le retrait d’une information en ligne qu’il participe à diffuser. Lorsque l’intermédiaire technique reçoit une telle notification, il doit agir « promptement » pour apprécier la licéité du contenu litigieux et, éventuellement, le retirer. Il a été jugé qu’un hébergeur n’avait pas agi promptement, faute d’avoir donné suite à la notification le jour même de sa réception ((TGI Toulouse (réf.), 13 mars 2008, Krim. K. c. Amen)).
Bien entendu, les intermédiaires techniques restent responsables lorsqu’ils diffusent les informations incriminées pour leur compte. C’est le cas pour leur propre site Web.
Lorsqu’il est saisi d’une demande de mise hors ligne (article 6-I-5), c’est à l’hébergeur d’apprécier si le contenu est, à son sens, manifestement illicite ((CA Paris, 12 décembre 2007, Benetton c. Google)).
L’hébergeur ne doit pas attendre la décision du juge du fond sur ce point. La nécessité de rapidité prime sur le reste.
En effet, si l’hébergeur devait attendre la décision du juge du fond sur la licéité du contenu, l’exception au régime d’irresponsabilité serait vidée de sa substance, puisque l’hébergeur engage sa responsabilité dès lors qu’il n’a pas retiré une information manifestement illicite qui avait été portée à sa connaissance.
En d’autres termes, si l’information litigieuse est manifestement illicite, l’hébergeur doit pouvoir relever cette illicéité sans recours préalable au juge.
Suivant ce même raisonnement, il a été jugé qu’un demandeur ne pouvait pas rechercher la responsabilité de l’hébergeur d’un site sur le fondement de l’article 6 LCEN dès lors qu’il a saisi le juge du fond et non le juge des référés, une telle saisine caractérisant l’absence de caractère manifeste de l’illicéité du message diffusé ((CA Paris, 8 novembre 2006, Comité de défense de la cause arménienne (CDCA) c. M. Aydin S. et SA France Télécom : la Cour a décidé que la mise en demeure de l’hébergeur par le CDCA n’avait pas pu le « conduire (…) à considérer les données litigieuses comme manifestement illicites, étant observé que le CDCA lui-même n’a pas choisi de saisir le juge des référés compétent pour faire cesser un trouble manifestement illicite, mais le juge du fond ».)).
L’article 6 LCEN sanctionne spécifiquement le fait de signaler comme illicite des informations qui ne le sont pas, afin d’en obtenir le retrait du réseau.
Quant à l’hébergeur, il n’est pas responsable de la diffusion du contenu illicite, sous certaines conditions, mais il demeure responsable du dommage qu’il cause par une mise hors ligne fautive du site d’un de ses clients (inexécution contractuelle) !
L’article 6-I-8 LCEN a été interprété par la Cour de cassation comme permettant au juge des référés d’ordonner aux fournisseurs d’accès français de mettre en place des mesures techniques de blocage d’un site illicite, alors même qu’aucune action au fond n’avait été engagée contre l’hébergeur de ce site ((Affaire Aaargh : TGI Paris (réf.), 13 juin 2005, UEJF et al. c. Free, AOL et al. ; CA Paris, 24 novembre 2006 ; Cass. Civ. 1., 19 juin 2008, pourvoi n°07-12244.)).
Cette action alternative est la seule dotée d’une efficacité juridique lorsque l’hébergeur est domicilié à l’étranger dans un pays protecteur de la liberté d’expression (p. ex. les Etats-Unis), qui refusera systématiquement l’exequatur d’un jugement français condamnant un opérateur pour la diffusion d’un message sur le réseau.
En revanche, cette action n’a pratiquement aucune efficacité matérielle : les mesures techniques que les FAI sont susceptibles de prendre pour bloquer le contenu litigieux peuvent être contournées très facilement.
Pour accroître tout de même cette efficacité, il est nécessaire d’assigner simultanément (dans la même instance) tous les FAI français ((Chaque FAI ne pouvant mettre en œuvre les mesures techniques de blocage du site litigieux que pour son propre réseau, ne pas assigner un FAI revient à ne pas bloquer l’accès pour ses abonnés.)).
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Un auteur note que « la question de la responsabilité des différents acteurs de l’internet a mis à jour ou été la cause de toute une série d’interrogations, d’hésitations, de contradictions ou d’insuffisances législatives, jurisprudentielles et doctrinales » ((E. DERIEUX, Communication au public en ligne, Jurisclasseur Communication du 28 septembre 2006, Fasc. 1300, §22)).
La question majeure qui se pose aujourd’hui n’est plus, comme il fut un temps, celle de savoir dans quelle mesure les intermédiaires techniques engagent leur responsabilité civile ou pénale du fait des informations qu’ils participent à diffuser sur le réseau. Cette question est réglée : les intermédiaires techniques ne sont pas responsables, sauf les exceptions prévues par la loi.
La nouvelle question qui se pose est celle de savoir comment définir un fournisseur d’hébergement, soumis au régime d’irresponsabilité de l’article 6 LCEN et, corrélativement, comment définir un éditeur qui reste soumis au droit commun de la presse (lois de 1881 et de 1982).
En définitive, si la qualification d’hébergeur (« fournisseur de services d’hébergement ») ou d’éditeur (« destinataire des services d’hébergement ») est aussi importante, c’est qu’elle détermine le régime de responsabilité. Si elle est aussi épineuse, c’est que la loi ne définit pas précisément les contours de la qualité d’hébergeur.
La qualification d’hébergeur résulte de l’article 6 LCEN. La qualification d’éditeur correspond à une catégorie résiduelle : est éditeur qui participe à la diffusion d’une information sur le réseau sans être un hébergeur.
On notera cependant deux éléments importants, résultant de la définition de la qualité d’hébergeur à l’article 6 LCEN : « Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services (…) ».
1) L’activité d’hébergement est une activité de stockage et non de traitement ou d’exploitation des données. Autrement dit, l’hébergeur se borne à offrir un support pour la conservation des données ; il ne les manipule pas lui-même et il ne les diffuse pas pour son compte.
2) Un hébergeur stocke les données fournies par le destinataire de l’hébergement. Cette disposition vise clairement les prestataires techniques qui mettent à disposition un espace de stockage en ligne pour que leurs clients hébergent les fichiers de leurs sites. L’hypothèse est claire : le client construit son site depuis son ordinateur, puis met les fichiers en ligne sur les serveurs de l’hébergeur qui se charge de les diffuser sur le réseau. Les fichiers, et les informations qu’ils contiennent, sont fournis par le client ; l’hébergeur n’intervient pas dans leur élaboration, il n’en contrôle pas le contenu.
Comme le relève un auteur, le mot « destinataires » (des services d’hébergement) est mal employé par la loi : il s’agit en réalité des utilisateurs des services et non des destinataires des messages diffusés sur le réseau ((ibid.)).
A cette définition de l’hébergeur s’oppose celle d’éditeur : l’éditeur est celui qui n’est pas hébergeur ; c’est le destinataire (comprendre l’utilisateur) du service d’hébergement. En d’autres termes, l’éditeur est le client de l’hébergeur. Dans un contrat d’hébergement, l’hébergeur fournit la prestation d’hébergement tandis que l’éditeur paye le prix.
1) Le tribunal de commerce de Paris a ainsi pu condamner eBay à une amende record de près de 40 millions d’euro, en décidant que la société réalisait une activité de courtage, et non d’hébergement, et qu’elle engageait ainsi sa responsabilité en permettant la vente de produits contrefaits ((T. Com. Paris, 30 juin 2008 ; 3 espèces, LVMH c. eBay et Dior c. eBay.)).
2) Les tribunaux ont également pu condamner des sites agrégeant des flux RSS en décidant que ces sites définissaient une ligne éditoriale en mettant en valeur certains flux plutôt que d’autres ((TGI Paris (réf.), 26 mars 2008, Olivier Martinez c. Bloobox.net (Affaire Fuzz.fr) ; TGI Nanterre (réf.), 28 février 2008, Olivier Dahan c. Eric Dupin (Affaire Lespipoles.net) ; V. Guillaume Florimond, Qualification juridique de l’acte de publication d’un flux de liens sur Internet., IntLex.org (2008).)).
En revanche, la simple possession d’un nom de domaine ne suffit pas à qualifier une société d’éditeur du site hébergé sous ce nom ((TGI Nanterre (réf.), 7 mars 2008, Olivier Dahan c. Planete Soft (Affaire Lespipoles.net).)).
3) En ce qui concerne les forums de discussion, il avait été jugé, dans des affaires antérieures à l’entrée en vigueur de la LCEN, que l’opérateur qui met en place un forum est responsable des propos tenus par les participants à ce forum, et qu’il ne peut s’exonérer de responsabilité en alléguant un défaut de surveillance du site qu’il a créé ((TGI Lyon, 28 mai 2002, Père-Noel.fr ; TGI Toulouse (réf.), 5 juin 2002, Domexpo.)). Depuis l’entrée en vigueur de la LCEN, le responsable d’un forum a cependant pu être qualifié, de manière très contestable, d’hébergeur ((TGI Lyon, 21 juin 2005, Groupe Mace c. Gilbert D.)).
4) D’une manière assez paradoxale, un jugement a qualifié Google Video d’hébergeur, en retenant que la société ne contrôlait pas le contenu qu’elle diffusait, tout en lui interdisant de diffuser une œuvre contrefaite, ce qui suppose que la société opère une sélection du contenu diffusé sur son site, et agit de ce fait comme un éditeur ((T. Com. Paris, 20 février 2008, Flach Film et al. c. Google)).
Plusieurs décisions du TGI Paris font une fausse application de l’article 6 LCEN, et commettent une erreur de droit manifeste ((TGI Paris (réf.), 15 avril 2008, Lafesse c. Dailymotion ; TGI Paris (réf.), 15 avril 2008, Omar et Fred c. Dailymotion ; contra et à bon droit, TGI Paris, 13 juillet 2007, Nord Ouest Production et al. c. Dailymotion et al.)).
Le juge écrit ceci :
« L’article 6-1-2° définit les hébergeurs comme étant des personnes qui «mettent à la disposition du public par les services de communication au public en ligne, le stockage de signaux d’écrits, d’images, de son ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services» »
Alors que l’article 6 LCEN dispose :
« Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services »
La loi est très claire : les hébergeurs stockent des fichiers sur demande de leurs clients, qui sont les destinataires des services d’hébergement, pour que ceux-ci puissent les mettre à disposition du public. Le juge comprend exactement l’inverse : les hébergeurs sont les personnes qui mettent à disposition du public les fichiers qu’ils stockent pour leurs clients.
Dans le premier cas (la loi) ce sont les destinataires des services d’hébergement, les clients de l’hébergeur, qui mettent l’information à disposition du public. Dans le second cas, (le juge), c’est l’hébergeur qui assure à la fois le stockage et la mise à disposition du public.
C’est en effet ce qui se passe en pratique, d’un point de vue technique. Mais d’un point de vue juridique, c’est précisément cette différence de situation qui justifie la différence de traitement entre les éditeurs, pleinement responsables, et les hébergeurs, irresponsables : les hébergeurs sont de simples intermédiaires techniques, qui se contentent de fournir à leurs clients des moyens techniques. Les hébergeurs ne choisissent pas de diffuser tel ou tel message : qu’un site qu’ils hébergent soit rempli d’informations ou qu’il soit une simple page blanche, c’est pour eux du pareil au même.
Le juge retient la définition suivante de l’éditeur : « la personne qui détermine les contenus qui doivent être mis à la disposition du public sur le service qu’elle a créé ou dont elle a la charge ». Il est bien évident qu’avec une telle définition, des sites comme eBay, YouTube ou Dailymotion ne sont pas des éditeurs puisque les sociétés qui les gèrent n’en contrôlent pas directement le contenu.
Le juge crée donc une troisième catégorie de personnes, qui n’était pas prévue à l’origine par la loi :
- L’hébergeur est l’intermédiaire technique, selon la définition de l’article 6 LCEN.
- La personne qui est un destinataire des services d’hébergement mais qui ne contrôle pas le contenu de son site doit être considéré comme un hébergeur (il s’agit de la nouvelle catégorie)
- Les destinataires des services d’hébergement.
Cette nouvelle catégorie est-elle justifiée ? La réponse doit être nuancée.
1) Application de la loi stricto sensu.
La loi ne donne pas de définition d’éditeur. Ce n’est pas l’éditeur, par opposition à l’hébergeur, qui est responsable du contenu du site. Il s’agit du « destinataire du service d’hébergement ». Par conséquent, la qualification d’éditeur est indifférente dans le cadre de l’application du régime de responsabilité ; seule la qualification d’offrant ou de destinataire de l’hébergement est pertinente (v. supra sur l’emploi erroné du mot « destinataire »). Selon cette interprétation, la nouvelle catégorie est contraire à la loi.
2) Nécessité sociale.
Il est évident que de plus en plus de sites se développent sur Internet sans contrôler le contenu qu’ils diffusent, celui-ci étant ajouté par des internautes sans contrôle a priori. Ces sites ne peuvent pas être responsables au même titre que les sites qui contrôlent directement leur contenu (qu’ils en soient l’auteur ou non). On peut, par conséquent, soit créer un troisième régime de responsabilité, qui poserait le principe d’une responsabilité partielle, soit retenir une nouvelle qualification, comme l’a fait le juge dans les affaires Dailymotion , qui permet de les exonérer de responsabilité lorsqu’il est évident qu’ils n’avaient pas validé d’une quelconque manière le contenu illicite. On serait tenté de dire que cette solution est équitable, mais ce serait oublier que les sites tels que Dailymotion sont gérés par des sociétés commerciales qui tirent des bénéfices de la diffusion des messages des internautes.
Le juge des référés n’a pas pour rôle de qualifier la situation en se reposant sur des textes spéciaux tels que la LCEN. En effet, pour réaliser une telle qualification, il faudrait qu’il rentre dans le fond du droit, qu’il mène une analyse approfondie, ce qui incombe en principe au juge du fond. Le juge des référés devrait donc, en principe, qualifier l’illicite par son propre pouvoir d’appréciation, en se détachant des textes.
On peut ainsi dire que le rôle du juge des référés, dans le contentieux d’Internet, n’est pas de qualifier les intervenants d’hébergeur ou d’éditeur et d’en déduire le régime de responsabilité qui leur est applicable mais, au contraire, de faire en sorte que le préjudice cesse ou ne survienne pas, par tous moyens, indépendamment des qualifications retenues sur le fondement du droit commun ou d’un texte spécial. Le juge des référés doit donc exercer sa liberté d’appréciation dans la qualification.
Comment le juge des référés doit-il procéder dans le cadre d’un contentieux opposant un site à la victime d’un délit informationnel ?
Si le juge des référés respecte le principe de la qualification superficielle, il devra faire cesser le préjudice, en ordonnant les mesures techniques idoines à la partie qui est en mesure de faire cesser le préjudice ou d’en prévenir la survenance, sans tenir compte de sa qualité. Autrement dit, la qualification d’hébergeur ou d’éditeur ne change rien dans les pouvoirs du juge des référés d’ordonner des mesures techniques. Elle ne change pas non plus les obligations de la personne à qui le juge ordonne d’accomplir ces mesures. En effet, si les intermédiaires techniques n’engagent pas leur responsabilité, ils sont tout de même tenus de faire cesser ou de prévenir l’illicite lorsqu’ils le peuvent. Pour preuve, leur inaction lorsque l’illicite a été constaté par une décision de justice a pour conséquence d’ouvrir l’action en responsabilité à leur encontre. On peut en effet admettre que l’information diffusée sur le réseau est manifestement illicite lorsque le juge des référés intervient à son encontre.
• 3708 mots • #Internet #société #Juridique #Web #serveur #NTICDeux décisions de justice récentes ont mis en relief toute l’importance et le caractère problématique de la qualification de l’acte de publication d’un flux RSS ou « digg-like » ou d’un agrégat de flux RSS. Est-ce un acte d’hébergement ou d’édition ? S’il s’agit d’un acte d’hébergement, l’article 6 § 1 de la Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN) ((Loi nº 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) (JO 2004 du 22 juin 2004 : http://www.legifrance.gouv.fr/texteconsolide/PCEBX.htm))) exonère l’auteur de la publication de responsabilité, à moins qu’il ait eu connaissance du caractère manifestement illicite de l’information diffusée. En revanche, s’il s’agit d’une activité d’édition, l’auteur de la publication est pleinement responsable même s’il n’avait pas connaissance de l’illicéité de l’information relayée par le flux.
Article publié à l’origine sur Intlex.org, puis recopié sur Valhalla.fr à la fermeture du site.
Contrairement à ce qui se dit parfois, les flux RSS (Really Simple Syndication) et les flux « digg-like » ne sont pas, en principe, des flux d’informations au sens strict. Ce sont des flux de références ou de liens hypertexte vers des informations. Sur une page Web, ils se matérialisent par une série de titres d’articles provenant de sites tiers, accompagnés de liens hypertexte vers ces sites. Les titres sont « empilés » du plus récent au plus ancien. Si l’on parle de « flux », c’est parce que la liste des titres est mise à jour en temps réel : un nouveau titre viendra se placer en haut de la liste, faisant descendre tous les autres titres.
Lorsqu’il se trouvent dans un flux RSS, ces titres proviennent des différents sites qui les diffusent grâce à des fichiers placés sur leurs serveurs et fréquemment mis à jour. Pour afficher un flux RSS sur une page Web, il suffit de récupérer à intervalle régulier le fichier contenant les titres à partir de n’importe quel site qui propose cette fonction ((Sur le site du Monde Diplomatique (http://www.monde-diplomatique.fr/recents), on peut lire : « Webmestres : ajoutez directement, sur votre propre site, ce petit fil d’informations, fait de liens hypertextes vers les articles récemment publiés sur le site Internet du “ Monde diplomatique ” ».)). On dira alors qu’on est « abonné » au flux RSS de ce site. A partir de ce moment, comme pour tout abonnement, le contenu du flux sera envoyé automatiquement, sans démarche active de son destinataire.
La technologie RSS permet également de réaliser une agrégation des flux. Il est possible de regrouper des titres provenant de plusieurs flux et de créer ainsi un nouveau flux. Cependant, il est en principe impossible de choisir au sein d’un même flux quels titres seront repris et quels autres titres seront rejetés. Un tel tri nécessiterait la mise en place d’une solution de filtrage basée sur des mots-clés qui n’est pas prévue originairement par la technologie RSS. En d’autres termes, lorsqu’on s’abonne à un flux, on accepte en bloc son contenu présent et à venir.
Les sites « digg-like » sont basés sur un système inventé par le site américain Digg. Ce sont des sites « communautaires » : c’est la communauté des internautes qui définit le contenu du site en lui ajoutant des liens vers des articles publiés sur d’autres sites, puis en notant et en commentant ces articles. Le système « digg-like » est structurellement différent de l’agrégation de flux RSS sur deux points importants. En effet, d’une part, les informations véhiculées dans un flux RSS sont directement affichées sur les sites qui sont abonnés au flux, sans qu’il soit possible de les contrôler a priori, alors que les sites « digg-like » supposent un ajout manuel des articles par les internautes, ce qui permet de placer chaque nouvel article dans une « file d’attente » et d’en contrôler le contenu avant d’en autoriser la diffusion. D’autre part, la suppression d’un article sur un site « digg-like » n’affecte pas les autres articles, alors qu’il est en principe impossible pour l’abonné d’un flux RSS de supprimer un article sans retirer le flux entier.
Les flux RSS et les flux « digg-like » véhiculent d’autres informations que les titres des articles : parfois un court résumé du contenu de l’article, toujours la référence vers cet article sous forme d’adresse Web (URL). Cependant, dans des cas qui restent exceptionnels, le contenu de l’article est diffusé dans le flux.
Pour résumer, les points suivants sont particulièrement importants dans le cadre de l’analyse de la nature juridique des flux RSS et « digg-like » :
- en principe, les flux RSS et « digg-like » ne véhiculent pas une information mais une référence (un lien) permettant d’accéder à l’information ;
- les flux RSS et « digg-like » sont mis à jour en temps réel ;
- la technologie RSS ne prévoie pas de filtrage des références envoyées par un flux, mais il est possible de contrôler a priori le contenu des articles soumis aux sites « digg-like » ;
il est possible d’agréger des flux RSS et « digg-like » existants pour créer un nouveau flux qui regroupe toutes les références diffusées par les flux agrégés.
1. Hébergeurs
La définition de l’activité d’hébergement de contenu électronique se trouve à l’article 6 de la LCEN. Il s’agit de l’activité exercée par
« Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services (...) »
Deux éléments sont particulièrement importants en ce qui concerne les flux RSS et « digg-like ».
1) L’activité d’hébergement est une activité de stockage et non de traitement ou d’exploitation des données. Autrement dit, l’hébergeur se borne à offrir un support pour la conservation des données ; il ne les manipule pas lui-même et il ne les diffuse pas pour son compte. Or, l’agrégation de différents flux RSS et « digg-like » dans le but de constituer un flux unique reprenant l’ensemble des titres des flux agrégés pourrait être considérée comme un traitement des données. Si, par ailleurs, les flux sont diffusés sur le Web par le site qui les agrège et pour son propre compte (notamment pour attirer plus de visiteurs et augmenter ses revenus grâce à de la publicité), il y a bien une exploitation des données. Toujours est-il qu’il n’y a pas de stockage de l’information stricto sensu. En effet, comme il a été expliqué plus haut, les flux RSS et « digg-like » ne véhiculent pas l’information elle-même, sauf exception, mais une référence vers cette information sous la forme d’un titre, d’un court descriptif et d’une adresse URL.
2) Un hébergeur stocke les données fournies par le destinataire de l’hébergement. Cette disposition vise clairement les prestataires techniques qui mettent à disposition un espace de stockage en ligne pour que leurs clients hébergent les fichiers de leurs sites. L’hypothèse est claire : le client construit son site depuis son ordinateur, puis met les fichiers en ligne sur les serveurs de l’hébergeur qui se charge de les diffuser sur le réseau. Les fichiers, et les informations qu’ils contiennent, sont fournis par le client ; l’hébergeur n’intervient pas dans leur élaboration, il n’en contrôle pas le contenu. Ce schéma n’est pas applicable aux flux RSS et « digg-like » : lorsqu’un site agrège des flux provenant d’autres sites, il le fait pour lui-même et non pas pour ces autres sites. En effet, pour que des flux provenant de sites tiers puissent être agrégés, il faut qu’ils soient déjà diffusés par ces sites. Le fichier qui contient les données du flux RSS ne quitte pas le serveur du site d’origine ; il est simplement lu, et non stocké, par le site qui l’agrège. De même, le fichier qui contient l’article repris par un site « digg-like » reste sur le serveur d’origine et ce n’est qu’une référence vers ce fichier qui est publiée par le site « digg-like ». La source originelle de l’information ne change donc pas et aucune nouvelle source n’est créée : l’agrégation du flux RSS ou de l’article dans un flux « digg-like » ou leur diffusion par un autre site ne fait que prolonger la source d’origine, qui se suffit en principe à elle-même ((On doit ici exclure l’hypothèse de l’hébergement d’un site miroir. Les miroirs sont des copies à l’identique d’un site mais hébergées par des serveurs différents. Ces copies visent à réduire la charge du serveur principal et la bande passante utilisée en répartissant le contenu sur des serveurs différents situés en d’autres lieux. L’utilisation de serveurs miroirs permet également de décongestionner le réseau et d’accélérer les temps de transfert : chaque internaute obtiendra l’information du serveur le plus proche de lui. Dans le cas de l’utilisation d’un serveur miroir, il s’agit véritablement d’un second hébergement.)). La preuve en est que la mise hors ligne d’un site agrégeant des flux RSS ou des articles ne suffit pas à faire cesser la diffusion de ces flux ou de ces articles sur le réseau ; il faudrait pour cela supprimer le contenu incriminé des serveurs qui sont à l’origine de sa première diffusion, qui en sont la source.
2. Éditeurs
L’activité d’édition s’oppose ici à celle d’hébergement. Elle constitue une catégorie résiduelle qui se définit a contrario en l’absence de définition légale : est un éditeur « toute personne physique ou morale qui, à titre professionnel ou non, édite et met en ligne de l’information, au sens le plus large du terme, à destination des internautes, en la publiant sur son site internet » ((C. FÉRAL-SCHUHL, Cyberdroit. Le droit à l’épreuve de l’Internet, ed. Dalloz Praxis (4ème ed., Paris 2006), num. 121.11, p. 549.)) et sans pouvoir être qualifiée d’hébergeur au sens de la LCEN.
Est ainsi considéré comme éditeur une personne qui choisit de diffuser une information. Un éditeur a un comportement actif : il prend d’abord la décision de diffuser l’information, puis il met en oeuvre les moyens nécessaires à sa diffusion. Il importe peu qu’il soit ou non l’auteur de cette information.
Les éditeurs sur Internet sont en principe soumis aux mêmes obligations légales que les éditeurs de la presse papier ou audiovisuelle, notamment celles résultant de la loi de 1881 sur la liberté de presse ((Loi n°1881-07-29 sur la liberté de presse du 29 juillet 1881 (Legifrance : <www.legifrance.gouv.fr/texteconsolide/PCEAA.htm>))), exception faite de l’obligation de déclaration préalable auprès du CSA ((Cette obligation résultant de la loi du 29 juillet 1982 a été supprimée pour les publication sur Internet par la loi n°2000-719 du 1er août 2000 (spéc. art. 2).)). La LCEN impose cependant à tout éditeur sur Internet l’obligation supplémentaire de se rendre identifiable (pour les professionnels) ou de rendre identifiable son hébergeur (pour les particuliers).
L’importance de la distinction entre hébergeur et éditeur réside dans la détermination du régime de responsabilité applicable. Les hébergeurs disposent d’un régime spécifique qui les exonère de responsabilité dans la plupart des cas, alors que les éditeurs restent pleinement responsables des dommages causés par les informations qu’ils participent à diffuser.
1. Hébergeurs
L’activité des hébergeurs est nécessaire à la diffusion d’une information sur le réseau. Pourtant, les hébergeurs ne sont pas à l’origine de l’information diffusée. Il sont de simples intermédiaires techniques.
Partant de ce postulat, trois conceptions de la responsabilité des hébergeurs peuvent être défendues.
1) La première conception est celle de l’irresponsabilité totale : l’activité des hébergeurs est purement technique, elle ne concerne que le contenant à l’exclusion du contenu.
2) La seconde conception est celle de la responsabilité systématique et totale : puisque l’activité des hébergeurs est nécessaire à la diffusion de l’information, elle est également nécessaire à la réalisation du préjudice subi du fait de la diffusion de cette information. Il est donc naturel que la responsabilité des hébergeurs soit engagée.
3) La troisième conception, qui est actuellement celle du droit français, se situe à mi-chemin entre les deux premières. Elle reprend, peu ou prou, le « tryptique pouvoir - savoir - inertie » proposé par un auteur : « n’est indubitablement fautif que celui qui est à même techniquement d’intervenir, qui sait qu’il y a matière à intervention et, pour finir, ne fait rien » ((M. VIVANT, La responsabilité des intermédiaires de l’Internet, JCP G n°45 du 10 novembre 1999, I 180)).
La loi du 1er août 2000 ((Loi n°2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (JO 177/2000 du 2 août 2000, p. 11903 : http://www.juriscom.net/txt/loisfr/l20000801.htm))) prévoyait à l’origine que les hébergeurs n’étaient responsables que dans les cas où, saisis par un juge ou par un tiers, ils n’avaient pas agi pour mettre hors ligne ou filtrer le contenu litigieux. Le texte fut cependant vidé de sa substance par une censure du Conseil Constitutionnnel ((Conseil Constitutionnel, 27 juillet 2000, Décision n°2000-433 : Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication [non-conformité partielle] ; JO 2000.p. 11922)).
Le droit positif actuel résulte d’article 6 de la LCEN :
« ... les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible... »
Le Conseil Constitutionnel a précisé que « ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge » ((Conseil Constitutionnel, 10 juin 2004, Décision n°2004-496 : Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) [non-conformité partielle] ; D. 2004.1739, note B. Mathieu)).
Il en résulte donc, au final, qu’un hébergeur n’engage sa responsabilité que s’il n’a pas agi promptement pour mettre hors ligne un contenu dont il ne pouvait ignorer l’illicéité ou dont le retrait avait été ordonné par une décision de justice.
2. Éditeurs
Le régime traditionnel de responsabilité des éditeurs est le régime dit « en cascade » du chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse. Le directeur de la publication est le premier responsable. A défaut, l’auteur sera responsable et, à défaut de l’auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal.
Ce régime transposé à Internet conduit à engager la responsabilité des différents opérateurs techniques intervenant dans la chaîne de diffusion de l’information.
Le droit commun se substitue à ce régime spécial lorsqu’il devient impossible pour les différents intermédiaires de contrôler l’information diffusée. Or, c’est le cas sur Internet et plus particulièrement pour les flux RSS qui agrègent des informations provenant de sources différentes et mises à jour en permanence.
Le Conseil d’État a proposé dans son rapport sur Internet et les réseaux numériques ((CONSEIL D’ETAT, Internet et les réseaux numériques, La Documentation française (1998))) de maintenir le régime traditionnel de responsabilité lorsque l’opérateur exerce une fonction éditoriale, par exemple lorsqu’il conçoit son propre site Web, « mais de retenir un régime de responsabilité de droit commun pour toutes les autres fonctions exercées sur le réseau et notamment les fonctions d’intermédiation technique ».
Toute la question est donc de savoir si l’agrégation et la diffusion de flux RSS est une simple activité « d’intermédiation technique » ou s’il s’agit au contraire d’une activité éditoriale.
Deux décisions récentes, rendues en référé respectivement par le TGI de Nanterre dans l’affaire « O. Dahan c. Lespipoles.com » et par le TGI de Paris dans l’affaire « O. Martinez c. Fuzz.fr », qualifient la publication d’un flux RSS et d’un site « digg-like » comme une activité d’édition. Une troisième décision, rendue dans l’affaire « O. Dahan c. Wikio.fr » met en relief le fait que l’activité d’hébergement est purement technique.
1. Affaire « Lespipoles.com » et « wikio.fr »
Deux décisions ont été rendues dans cette première affaire. Un article concernant une prétendue liaison entre l’actrice américaine Sharon Stone et Olivier Dahan, réalisateur du film « La Môme », avait été publié sur le site « gala.fr » et diffusé par ce site dans un flux RSS. A son tour, le flux RSS était repris sur deux sites : le site « lespipoles.com » et le site « wikio.fr ». M. Dahan se dirigea donc dans un premier temps contre l’éditeur du site « lespipoles.com » ((TGI Nanterre (ref.), 28 février 2008, Olivier Dahan c. Eric D. ; Legalis 2008 : http://www.legalis.net/jurisprudence-decision.php3?id_article=2225)) et, dans un second temps, contre la société titulaire du nom de domaine « wikio.fr » ((TGI Nanterre (ref.), 7 mars 2008, Olivier Dahan c. Planete Soft ; Legalis 2008 : http://www.legalis.net/jurisprudence-decision.php3?id_article=2232)).
Dans la première ordonnance, le juge des référés rejette l’argument du défendeur selon lequel « il n’aurait que la qualité d’hébergeur (…) en ce que les contenus sont affichés systématiquement, automatiquement, et régulièrement mis à jour, sans la moindre décision de sa part et donc sans le moindre contrôle “éditorial” sur le contenu des informations ». Il estime en effet que « ledit site agence différents flux dans des cadres préétablis (“dernières news” ou “dernières vidéos”) et qu’il a trait à un thème précis : l’actualité des célébrités » ; en outre, le site possède « un moteur de recherche propre au thème ainsi traité », ce qui démontre son contrôle sur le contenu diffusé. Il en résulte que « la décision d’agencer ainsi les différentes sources, permet à l’internaute d’avoir un panorama général, grâce aux différents flux ainsi choisis, sur un thème précis, et constitue bien un choix éditorial de la partie défenderesse ». Le défendeur a donc « la qualité d’éditeur et doit assumer les responsabilités, à raison des informations qui figurent sur son propre site ».
Dans la deuxième ordonnance, le juge relève que la société défenderesse, Planete Soft, est seulement titulaire du nom de domaine « wikio.fr », « qu’elle n’a ni la qualité d’hébergeur, ni d’éditeur, ni de “webmaster” ayant la maîtrise du site litigieux ». Il existe donc une contestation sérieuse au sens de l’article 808 NCPC sur la qualité à agir en défense de la société Planete Soft et le juge des référés se déclare incompétent pour connaître du litige.
Les deux décisions lues en parallèle permettent de relever l’importance du critère du choix éditorial. Un opérateur est considéré comme un éditeur lorsqu’il opère un choix éditorial, c’est-à-dire lorsqu’il aménage l’information diffusée sur son site. Il s’agit d’une démarche active destinée à apporter une valeur ajoutée soit au site, par le regroupement et le classement des informations diffusées, soit aux informations elles-mêmes qui sont mises en relation avec des contenus connexes. A l’inverse, l’opérateur qui se borne à fournir un service (comme un nom de domaine), sans intervenir dans le processus d’élaboration du contenu du site, ne peut être considéré comme l’éditeur de ce site.
2. Affaire « Fuzz.fr »
Les faits sont ici semblables à ceux exposés ci-avant : le site « fuzz.fr » affichait un lien vers un article, hébergé sur un autre site, et ayant pour thème une prétendue liaison entre l’actrice Kylie Minogue et Olivier Martinez. En revanche, il ne s’agissait pas ici d’une agrégation de flux RSS, mais d’une sélection « digg-like » de certains articles, parus sur divers sites, par les internautes.
En l’espèce, la société défenderesse soutenait qu’elle n’était qu’un simple prestataire technique, ne faisant qu’héberger un lien hypertexte vers l’article original. Le juge n’a pas accueilli cet argument ((TGI Paris (ref.), 26 mars 2008, Olivier Martinez c. Bloobox Net, Eric Dupin (affaire Fuzz) ; Legalis 2008 : http://www.legalis.net/jurisprudence-decision.php3?id_article=2256)). Il a au contraire estimé qu’en renvoyant vers le site à l’origine de l’article litigieux, en « agençant différentes rubriques telles que celle intitulée “People” » et, surtout, en présentant le titre de l’article en gros caractères, la défenderesse avait décidé seule « des modalités d’organisation et de présentation » de son site et, partant, opéré un choix éditorial. Il en découle que l’acte de publication doit être compris « non pas comme un simple acte matériel, mais comme la volonté de mettre le public en contact avec des messages de son choix » et que la société « doit être dès lors considérée comme un éditeur ».
L’affaire « Fuzz.fr » a bénéficié d’une très large couverture médiatique : des médias traditionnels ((Le Figaro, Une décision de justice fait trembler le web 2.0 (avec AFP) (S. LAURENT); Le Monde, Les sites hégergeant des informations émanant de tiers sont responsables de leur publication (L. GIRARD))) à la radio et à la télévision, en passant bien entendu par la « blogosphère » ((A. ASTAIX, Le hussard de la toile, à l’assaut du web communautaire, Blog Dalloz 2008)). L’ordonnance rendue par le juge des référés a suscité de vives critiques. Elle est pourtant fondée en droit. En effet, il est clair que la définition de la qualité d’hébergeur contenue dans la LCEN ne vise que les intermédiaires techniques, à l’exclusion des opérateurs qui exploitent directement et pour leur compte l’information diffusée, qu’ils en tirent ou non un bénéfice. Dans ce contexte, la sélection, le classement et la mise en valeur de l’information suffisent à caractériser un « choix éditorial » qui, à son tour, est caractéristique d’une exploitation du contenu diffusé.
Il nous semble que le débat aurait pu être déplacé sur un autre point, bien plus problématique : le fait que les sites incriminés ne diffusent pas le contenu litigieux mais une simple référence vers ce contenu (sous réserve qu’il ne reprennent pas une partie substantielle de l’article référencé). Si la diffusion d’un lien vers une page Web s’assimile à la diffusion du contenu de cette page, c’est toute l’architecture du réseau qui est à revoir ! Qu’en serait-il, en effet, de la responsabilité des moteurs de recherche ? Et qu’en serait-il de la responsabilité d’un site affichant un lien vers un deuxième site qui afficherait à son tour un lien vers un troisième site au contenu illicite ?
Si le débat ne s’est pas déplacé sur ce terrain, c’est que ce n’était pas nécessaire car, précisément, les liens affichés sur les sites incriminés n’étaient pas de « simples liens ». Ils étaient mis en valeur de manière à relayer l’essentiel du contenu de l’information (titre suggestif et court résumé), et non simplement à signaler son existence. Le fait qu’il s’agisse, dans les deux cas, d’informations « people » n’est d’ailleurs certainement pas indifférent à la condamnation. Il est en effet bien connu que les informations de ce type sont particulièrement sensibles, et qu’il arrive souvent qu’elles franchissent la limite de l’illicéité. Dans ce contexte, les éditeurs des sites incriminés ont commis une négligence plutôt qu’un acte illicite actif en diffusant des informations non vérifiées et susceptibles d’être illicites, alors qu’ils avaient les moyens, quoi qu’ils en disent, d’en contrôler le contenu. Il ont en tout cas pris un risque qui justifie que leur responsabilité soit recherchée.
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