On en a parlé à la télé ! Ce soir, au JT de 20h sur France 2: un prof de français a «pourri le web» pour piéger ses élèves qui remplissent leurs rédactions à grands coups de copier/coller depuis Wikipedia. L’article est par là, et il est surréaliste.
Voici l’hypothèse: les élèves recopient ce qu’ils trouvent sur Internet, sans réfléchir, afin de noircir des pages.
Voici l’expérience : Voulant piéger les «recopieurs», un prof de français a «pourri le web» : il a choisi un poème peu connu, d’un auteur tout aussi peu connu, puis il a modifié la page Wikipédia dédiée à cet auteur, en insérant de fausses informations ; il a ensuite rédigé un corrigé de commentaire de ce poème, en le rendant le plus mauvais possible, et l’a soumis à des sites spécialisés dans le commerce de tels corrigés. Pour finir, il a donné le poème à ses élèves, leur a demandé d’en faire un commentaire.
Voici le résultat de l’expérience: «Sur 65 élèves de Première, 51 élèves - soit plus des trois-quart (sic) - ont recopié à des degrés divers ce qu’ils trouvaient sur internet, sans recouper ou vérifier les informations ou réfléchir un tant soit peu aux éléments d’analyses (re-sic) trouvés, croyaient-ils, au hasard du net».
Comment interpréter cela ? Il y a 2 façons de l’interpréter.
La première consiste à traiter les élèves de bons à rien et d’invoquer la paupérisation intellectuelle due à Internet. C’est, bien entendu, la réaction naturelle de la plupart des gens –comme en témoigne le reportage sur France 2–, et probablement de la majorité des enseignants.
La seconde, si le lecteur me permet cet artifice, est la suivante :
– «Ahahahah ! Il s’est cassé la gueule !!! Ahahahahah !»
– «Forcément ! Il a marché sur la peau de banane que tu venais de mettre sur sa trajectoire !»
– «Ouiiii !! C’est marrant !!»
– «Mais c’est un aveugle…«
– «Justement ! C’est encore plus marrant !»
Fin de l’artifice. Posons-nous deux simples questions:
- à qui la faute, si les élèves copient massivement sur Internet ?
- pourquoi le font-ils ?
1) Trois réponses possible: «la faute à Internet», «la faute aux élèves», «la faute aux profs» (le lecteur devrait déjà se douter de notre réponse…).
«La faute à Internet ?» Non. Internet n’est qu’un outil. Lâchez les mêmes élèves dans une bibliothèque universitaire, ils se jetteront sur le premier livre venu comme ils se sont jetés sur Wikipédia, et ils recopieront bêtement de la même manière. Un outil n’est pas responsable de la manière dont on s’en sert. Un couteau de cuisine peut servir à tailler des carottes en rondelles, ou à assassiner quelqu’un… le problème n’est pas dans le couteau, mais chez celui qui l’utilise. D’où la deuxième possibilité.
«La faute aux élèves ?» Non plus. La valeur négative associée au plagiat n’est pas innée chez l’être humain. Elle est culturelle. Elle s’enseigne et s’apprend. Si personne ne la leur a jamais enseignée, ils n’ont pas pu l’acquérir. Reprocherait-on à l’aveugle de ne pas avoir vu la peau de banane ?
«La faute aux profs» Oui. Navré. C’est la conclusion logique du point précédent. Lorsque «plus des trois quarts» des élèves font la même erreur, le problème vient de l’enseignement qu’ils ont (ou pas) reçu…
2) Pourtant, ces élèves ont bien dû entendre qu’il «ne faut pas plagier, ce n’est pas bien» ! On a même dû le leur répéter des dizaines de fois. Alors pourquoi le font-ils encore ?
La réponse suit. Pour les économistes: parce que le bénéfice que les élèves pensent tirer d’un commentaire d’un poème du XVIIIe siècle est inférieur à l’effort à fournir pour réaliser ce commentaire ; le temps est une ressource rare, et il est plus rapide de copier/coller que de réfléchir, il s’agit donc d’une simple optimisation du temps. Pour les philosophes: parce qu’il n’y a ni intérêt (Marx) ni passion (Alain) pour motiver la réalisation un tel commentaire.
Les élèves ne sont pas des profs. Les profs aiment, par hypothèse, la matière qu’ils enseignent. Ce n’est pas nécessairement le cas des élèves qui, bien trop souvent, la subissent. Tant que les profs n’auront pas compris cela, le problème perdurera.
Pour faire simple : les poèmes du XVIIIe siècle, on s’en fiche !
À la lecture de cette dernière phrase, les profs de français doivent être outrés, et les profs de maths doivent bien rire : «ça fait des années qu’on vous dit qu’ils entrent toutes les formules dans leurs calculettes !» (peut-être se fichent-ils aussi un peu des poèmes du XVIIIe siècle, mais passons…). C’est sûr : entrer les formules dans la calculatrice, c’est de la triche, c’est mal. On attend des élèves qu’ils apprennent toutes ces formules par cœur ; ça, c’est normal, ce n’est pas de la triche. Pourtant, cela revient au même : dans un cas comme dans l’autre, la formule n’est pas comprise. Utiliser une formule apprise par cœur est tout aussi inutile que de la recopier depuis l’écran de sa calculatrice. Il faudrait être capable de retrouver soi-même la formule, par sa seule réflexion. C’est évidemment beaucoup plus difficile que de l’appliquer bêtement, mais c’est bien là que se situe entre la réflexion et le «recopiage».
Je souhaiterais conclure sur une précision importante : j’emploie (abusivement) l’expression «les profs», non pour désigner les enseignants qui pratiquent le plus beau métier du monde, dans des conditions bien souvent démotivantes, mais pour parler plus globalement de l’éducation nationale, de la façon dont l’enseignement est organisé, et des programmes.