Au sommaire cette semaine, la sortie de l’iPad, la protection des données personnelles et un peu de liberté d’expression.
L’iPad est arrivé en Europe et les ventes des premiers jours annoncent déjà un succès. L’AppStore n’est pas encore très fournie, mais les classements «meilleures apps» commencent déjà à apparaître sur le Net. On constate aussi que certains acteurs de l’industrie de l’information délaissent Flash et investissent dans le développement pour les plateformes Apple.
Si tôt apparue, la tablette est déjà soumise à la taxe pour la copie privée, véritable racket organisé par le lobby de l’industrie (soi-disant) culturelle. La justification d’une telle taxe est fragile s’agissant de l’iPad, puisqu’il est constant qu’Apple a «verrouillé» l’appareil afin de le lier à l’iTunes Store. Autrement dit, l’iPad n’est pas fait pour contenir des copies d’oeuvres, faites à partir d’un DVD ou d’un CD, par exemple, mais le fichier original pour lequel on a acquis les droits en payant sur l’iTunes Store. Certes, il peut y avoir de la copie privée sur l’iPad, mais ce n’est (vraiment) pas son but premier. Ses contempteurs parmi les «libristes» le font déjà savoir haut et fort. Sur un plan technique, on répondra que le consommateur ciblé par Apple est plus demandeur de sécurité et de convivialité dans l’utilisation de l’iPad, que de possibilités de «bidouillage». Sur un plan économique, on soulignera le fait qu’Apple n’est pas si fermée que cela, comme le montre notamment la décision d’ouvrir l’iBook Store aux éditeurs indépendants, et même aux auteurs seuls.
Succès pour l’iPad, mais aussi succès pour Apple : la cotation boursière de la société dépasse celle de Microsoft qui, historiquement, menait la course en tête. Apple se retrouve être la 3ème capitalisation au niveau mondial, derrière les pétroliers ExxonMobil et PetroChina.
Le succès d’Apple provient avant tout de la vente de musique. L’entreprise est en effet aujourd’hui le premier vendeur de musique au monde. Aux États-Unis, elle possède 69% de parts de marché sur la vente de musique en ligne. Apple grossit… et se retrouve dans le collimateur de la justice américaine : s’il est permis d’être en situation de monopole, le droit de la concurrence (antitrust) interdit d’utiliser cette situation de force pour restreindre la concurrence. L’enquête des autorités américaines de la concurrence vise à déterminer si Apple abuse de sa position dominante, notamment dans la fermeture de l’App Store aux outils de développement externes (i.e. Flash).
Si la sortie de l’iPad a marqué l’actualité technologique de la semaine, elle n’a pas pour autant éclipsé les préoccupations relatives à la protection des données personnelles en ligne.
En France, la CNIL a frappé un grand coup en contrôlant Acadomia. Elle a trouvé de nombreuses irrégularités dans la collecte et le traitement des données personnelles par cette société ; par exemple, des observations laissées par les élèves sur les enseignants, ou sur les enseignants sur les élèves ou leur famille, qui se révèlent attentatoires à la vie privée et à la dignité. Acadomia a dénoncé des erreurs de la CNIL, et cette dernière a menacé de rendre publique l’intégralité de sa décision. La société a ainsi fait machine arrière, mais la CNIL a tout de même publié sa décision.
Facebook est aussi au centre de l’actualité. Il devient le site le plus visité au monde, tandis que les changements constants dans sa politique de traitement des données continuent de faire polémique. En tout cas, selon les défenseurs de la vie privée en ligne, Facebook peut mieux faire. Les juristes s’interrogent dans le même temps que l’utilisation de données obtenues sur Facebook par un employeur pour licencier un salarié.
Paradoxalement, les français semblent, selon une étude, être vaguement conscients des risques d’une trop grande publicité de leurs données personnelles, sans toutefois cerner ces risques avec précision, ou chercher des moyens de les éviter. Peut-être le fait que les données soient utilisées en ligne participe-t-il à la confusion («ce n’est pas tangible, donc ce n’est pas dangereux…»). Le déplacement progressif de l’utilisation des données dans le monde réel, comme avec Google qui veut conserver l’historique de nos déplacements dans la rue, pourrait aider certaines personnes à prendre conscience des risques plus facilement.
Les autorités européennes haussent le ton contre certaines entreprises américaines, qui ne respectent pas pleinement la législation communautaire, tandis qu’elles discutent avec leurs homologues américaines pour renforcer la protection des données dans le cadre de la lutte contre la criminalité et le terrorisme. La Cour de Luxembourg rappelle quant à elle l’importance de l’indépendance des autorités nationales de protection des données (la CNIL et ses homologues).
Pour finir, une dose de liberté d’expression. Dans un monde déréglementé comme l’est le monde virtuel, les tentatives de réglementation vont parfois beaucoup trop loin. «Le mieux est l’ennemi du bien», comme on dit. Il en va ainsi du projet de loi visant à lever l’anonymat des blogueurs dont nous parlions déjà la semaine dernière. Ce projet a engendré une véritable fronde contre lui, et on le comprend tant il est liberticide. On ne cessera de rappeler, en effet, que la recherche outrancière de la transparence est l’apanage des régimes totalitaires. Mais heureusement, certains le prennent avec humour.
On a aussi parlé, cette semaine, d’un arrêt de la Cour d’appel d’Orléans qui sanctionne un blog pour avoir fait semblant de défendre un élu tout en le dénigrant et en le présentant sous un jour mauvais. Celui-ci attaquait l’auteur du blog sur le fondement de l’article 1382 CC (responsabilité de droit commun, pour faute). Or, on sait depuis un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, en 2000, que les abus de la liberté d’expression incriminés dans la loi du 29 juillet 1881 échappent à l’article 1382. Pour éviter de requalifier les faits (et, probablement, de constater la prescription de l’action), la Cour décide qu’il ne s’agissait pas d’un délit de diffamation ou d’injure mais d’une faute civile caractérisée par l’intention de tromper l’internaute (sous couvert de défendre la victime, en réalité, on la dénigre). Ce raisonnement est (très hautement) contestable, mais ce n’est pas le pire. Certains motifs de la Cour laissent en effet sans voix : «Attendu que force est d’admettre que si le lecteur évolué fait très rapidement la part des choses et n’est pas abusé très longtemps par le procédé, il est tout aussi constant que la population des internautes n’a pas toujours un niveau intellectuel à la mesure des techniques nouvelles qu’elle maîtrise et qu’il se trouvera nécessairement quelques éléments qui prendront les articles du blog au premier degré» (et un lecteur non-évolué pour le clavier et l’écran est-il suffisamment évolué pour le papier et le crayon ?) ; «Attendu que l’anonymat revendiqué par l’auteur du blog constitue encore une faute certaine dans la mesure où elle s‘inscrit justement dans le cadre d’un débat politique entre deux adversaires de listes opposées ; qu’en ne dévoilant pas son identité et en cherchant à brouiller les pistes en utilisant l’ordinateur mis à sa disposition par son employeur, Antoine B. empêche son adversaire de pouvoir lui répliquer directement ce qui fausse le jeu démocratique (…)» (l’anonymat est une faute sur Internet… pourtant, on est bien anonyme dans la rue, non ?).
Pour conclure sur une note positive, l’on apprend que la France et les Pays-Bas (dont on sait que le droit assure une très grande protection de la liberté d’expression) projettent de créer un «code international» contre la censure. L’initiative mérite d’être saluée, même si l’on peut douter qu’un consensus satisfaisant puisse être obtenu sur le plan international concernant la liberté d’expression (soit les législations sont déjà suffisamment proches, et l’accord international n’est pas vraiment nécessaire ; soit elles sont très éloignées, et l’accord est impossible).