L’interface d’Ubuntu 10.04, « Lucid Lynx », copierait celle de Mac OS X. C’est ce qu’on peut lire, dans plusieurs langues, sur de nombreux forums et blogs dédiés à Linux. La plupart des personnes qui avancent cette idée le font pour dénoncer ce qui leur apparaît comme une mauvaise décision de Canonical, l’entreprise qui produit Ubuntu. Copier Mac OS X serait, selon eux, refuser d’innover et s’éloigner de l’esprit de Linux, des précédentes versions d’Ubuntu et du monde libre. Voyons ce qu’il en est.
Sans rentrer dans des questions qui relèvent de la philosophie du logiciel libre, j’aimerais faire quelques remarques sur la prétendue « copie » de Mac OS X réalisée dans Lucid Lynx. J’avance l’idée suivante : plusieurs innovation d’Apple, en matière d’interface et dans d’autres domaines, ont déjà été copiées depuis longtemps, sans que personne ne semble vraiment s’en émouvoir. Au contraire, elles ont plutôt bien été accueillies dans le monde Linux. Les quelques traits de Mac OS X qu’Ubuntu adopte dans sa dernière version sont, en revanche, purement cosmétiques et sans conséquence sur l’utilisation du système.
Voyons d’abord ces « traits communs » entre OS X et les thème graphique de Lucid Lynx. Il s’agit, principalement, du fond d’écran abstrait violet, du déplacement des boutons de fermeture-agrandissement-minimisation des fenêtres du côté droit vers le côté gauche, du nouveau jeu d’icônes et de la forme arrondie des coins des fenêtres. Je ne vois pas quel serait l’impact de ces changements sur les fonctions du système : elles n’enlèvent ni n’apportent rien. Que le fond d’écran soit violet, noir, bleu, rouge ou vert, quelle différence ? Cela reste un fond d’écran. Que les boutons des fenêtres soient à droite ou à gauche, quelle différence ? Ils ont toujours la même fonction. On peut aimer ces changements ou les détester, mais cela reste totalement subjectif. Quel argument objectif, en effet, pourrait-on utiliser pour soutenir que les coins de fenêtre carrés sont mieux que les coins de fenêtre arrondis ?
Ce premier point étant éclairci, passons au second : les véritables changements sont intégrés dans Ubuntu depuis longtemps. J’entends par « véritable changement » tout changement qui implique au moins l’ajout de nouvelles fonctionnalités, ou une modification de l’ergonomie ou de la manière de faire telle ou telle chose. Le but n’est pas ici d’en faire une liste exhaustive, mais simplement de donner quelques exemples significatifs.
Le premier exemple est celui du « dock » emblématique de Mac OS X. Ce dock vient du monde Unix : il est issu du système NextStep, racheté par Apple au moment du retour de Steve Jobs à la tête de la société, puis utilisé pour bâtir Mac OS X. Le dock existe donc dans les copies pour Linux du gestionnaire de fenêtre de NextStep, notamment windowmaker. Mais il existe aussi pour les environnements de bureau plus modernes et plus « user friendly », comme Gnome, sous la forme de logiciels additionnels (AWN, Cairo Dock, etc.). Le concept de dock a également fait son apparition sous Windows Seven, dans une version à mi-chemin entre le dock de Mac OS X et la barre des tâches de Windows 95 et suivants.
Dock Mac OS X | Dock AWN (Linux) |
On peut également citer Spotlight, l’utilitaire d’indexation de Mac OS X, depuis Tiger (10.4), qui fait aussi office de lanceur d’applications. Le principe de Spotlight existe sur Ubuntu depuis longtemps, sous la forme de petits logiciels indépendants du système : Beagle et Tracker, entre autres. Ces logiciels sont certes bien inférieurs à Spotlight en termes de facilité d’utilisation, de performances et de fiabilité, mais ils reposent sur la même idée (la recherche indexée de contenus, par opposition à la recherche récursive de noms de fichiers). Côté lanceurs d’applications, il existe des logiciels spécifiques, sous Linux comme sous Windows, qui reprennent pour la plupart d’entre eux les bonnes idées de logiciels Mac comme QuickSilver ou LaunchBar.
Si l’on regarde l’explorateur de fichiers d’Ubuntu, Nautilus, on constate une similarité avec le Finder de Mac OS X : la fenêtre est séparée verticalement en deux parties, à droite les fichiers, à gauche une barre de « raccourcis » avec la liste de certains emplacements sélectionnés en fonction d’un certain type de contenu : Vidéos, Musique, Documents, etc. Cela n’est pas une nouveauté de Lucid Lynx, cette fonction est présente dans Nautilus (et dans d’autres gestionnaires de fichiers) depuis longtemps. De la même manière, elle a fait son apparition sous Windows avec Vista.
Mac OX X Finder | Ubuntu Nautilus |
Dernier exemple –bien que l’on pourrait en trouver de nombreux autres– : la fonction « exposé », qui existe dans Mac OS X depuis plusieurs années, et qui s’apprête à faire son apparition dans Gnome 3 sous la forme du Gnome Shell. Cette fonction est déjà disponible dans Lucid Lynx : on y accède par le raccourci clavier Touche Windows + W (ou Command + W pour les claviers Mac). On peut également paramétrer Compiz pour afficher un « exposé » des bureaux virtuels, et assigner un coin d’écran actif à cette fonction, comme sur Mac. Cela non plus n’est pas nouveau.
Mac OS X Exposé | Ubuntu Exposé |
Le lecteur l’aura compris, de nombreuses fonctions de l’interface utilisateur d’Ubuntu s’inspirent directement de fonctions présentes sur Mac OS X, depuis longtemps, sans que cela ait été véritablement critiqué. Et pour cause : la plupart de ces fonctions sont très utiles, pour les débutants comme pour les experts. Mais l’inverse est aussi vrai : Apple a pu utiliser certaines idées provenant de Linux (ou, plus largement, d’Unix) dans l’élaboration de l’interface de son système ; c’est le cas, notamment, des bureaux virtuels, qui existent de longue date sous Linux mais qui sont relativement récents sur Mac. Pour autant, il ne s’agit pas ici de compter « qui a repris le plus d’idées de l’autre », et encore moins de critiquer Linux pour avoir fait sien certaines innovations d’Apple (car elles sont souvent les bienvenues). Il s’agissait simplement de combattre les critiques (trolls ?) de certains intégristes du monde du logiciel libre, qui dénigrent par principe tout logiciel qui n’est pas libre pour la simple raison qu’il n’est pas libre, en montrant que les changements dans l’interface d’Ubuntu Lucid Lynx sont sans réelle conséquence, contrairement à certains autres changements survenus depuis longtemps dans la distribution et acceptés par tous (ou presque…).
à Paris, le 1er mai 2010
Mise à jour, le 3 mai 2010 : Canonical prévoit d’intégrer dans Ubuntu 10.10 une barre de menu commune à toutes les applications, en haut de l’écran, comme cela existe sur Mac depuis toujours (et par opposition à Windows : «une barre de menu à l’intérieur de la fenêtre de chaque application»). Cela est un «véritable» changement ergonomique, sur lequel on peut donc débattre.