La loi Hadopi fut rejetée début avril par l’Assemblée Nationale (voir l’article sur ce sujet), et le gouvernement se prépare désormais à la réintroduire, sans véritable modification de fond. Les chefs de la majorité préparent un vote « symbolique » et massif, comme pour laver l’affront du rejet de la loi le 9 avril. Dans le même temps, le Parlement européen confirme l’amendement Bono au « paquet Télécom », selon lequel la privation des droits fondamentaux des utilisateurs du réseau nécessite une décision judiciaire. Ces batailles procédurales cachent la réalité de la situation, et masquent les véritables solutions.
1) La loi Hadopi est dépassée avant même d’entrer en vigueur. Elle instaure un mécanisme, pour lutter contre les téléchargements illicites, qui peut être facilement contourné. Tous les pays du monde qui ont envisagé de mettre en œuvre le dispositif de la riposte graduée ont abandonné l’idée. Tous, sauf la France.
A n’en pas douter, la loi Hadopi sera remplacée peu après son entrée en vigueur par une nouvelle loi, qui sera une fois encore présentée comme plus moderne et mieux adaptée à la technologie. Le fait est que tant que les lois sur ce domaine iront contre la tendance sociale libérale et contre la technologie, qui évoluera toujours plus rapidement que le droit, elles seront obsolètes et inefficaces avant même leur première application.
2) Les partisans de la loi Hadopi soutiennent que la culture ne peut pas être gratuite. C’est leur principal argument, et c’est même le seul argument convaincant qu’ils aient. Il faut donc l’admettre comme hypothèse de départ : « créer » de la culture, c’est un travail, et tout travail mérite salaire.
3) Cela étant dit, le « piratage » a-t-il un véritable effet sur la rémunération des artistes ? Il est permis d’en douter, pour plusieurs raisons.
Premièrement, la baisse des ventes de disques musicaux et de DVD de films semble avoir pour causes principales, d’une part, le prix élevé de ces articles et, d’autre part, la baisse générale de leur valeur culturelle. Sont-ce vraiment les enregistrements des opéras de Mozart qui se vendent moins, ou les enregistrements de concerts de la Star’Ac ?
Deuxièmement, plusieurs études ciblées ont montré que la plupart des personnes qui téléchargent des œuvres sur Internet n’hésitent pas à acheter des CD ou des DVD (voir, en dernier lieu, un étude norvégienne rapportée par le Nouvel Obs’).
Troisièmement, ce sont surtout les industriels de la culture, plutôt que les artistes, qui mènent un combat acharné contre la diffusion d’oeuvres contrefaites sur Internet. S’il existe un manque à gagner, il est pour les majors. Or, ceux-ci cherchent à gagner toujours plus. C’est un coportement humain et particulièrement adapté à notre société actuelle, mais l’on peut penser que les véritables artistes, plus absorbés par leur art que par leurs finances, se contenteront d’une rémunération raisonnable et honnête, sans chercher perpétuellement à augmenter leurs bénéfices.
4) Dans ce contexte, la solution la mieux adaptée à la question du « piratage » sur Internet semble être la licence globale. Il s’agit d’augmenter le prix des abonnements à Internet d’un certain montant, pour reverser ensuite les sommes collectées aux artistes.
Deux arguments sont avancés à l’encontre de la licence globale. Le premier repose sur le fait que le montant prétendu (et subjectivement évalué) du manque à gagner subi par les industriels de la culture du fait du téléchargement illicite, ne serait pas compensé par les revenus générés par la licence globale. On répondra à cet argument que peu est toujours mieux que rien, car les lois actuelles (DADVSI, Hadopi) ont pour but de sanctionner les personnes qui téléchargent, et non de compenser la perte subie par les auteurs du fait de ces téléchargements.
Le second argument avancé contre la licence globale provient de la charge qu’elle impose à tous les internautes, sans distinction. Cet argument est moralement valable, car il est en effet injuste d’imposer aux internautes qui ne téléchargent pas, une hausse du prix de leur abonnement à Internet dont la contrepartie ne bénéficiera qu’aux seuls internautes qui téléchargent. Cet argument, aussi valable qu’il puisse paraître, peut être facilement contré.
En premier lieu, un tel argument n’a pas de réelle valeur juridique. La rémunération pour la copie privée, par exemple, impose à tous les acheteurs de supports vierges (CD, DVD, disques durs, clés USB, etc.) de payer un surplus destiné à compenser la perte financière subie par les ayants-droits du fait de la réalisation de copies privées. C’est exactement le même principe que la licence globale.
En second lieu, on peut supposer que de nombreux internautes ne téléchargent pas aujourd’hui parce que le téléchargement d’œuvres contrefaites est illicite. Si une nouvelle loi venait à instaurer la licence globale, de nombreux internautes se mettraient à télécharger.
En troisième lieu, on pourrait imaginer un mécanisme simple, reposant sur une régulation du réseau par les opérateurs, qui permettrait aux Internautes de choisir s’ils veulent pouvoir télécharger moyennant un surplus du prix de leur abonnement, ou s’ils refusent de payer plus et se privent de la possibilité de télécharger. Pour mettre en œuvre un tel système, il suffirait aux opérateurs de bloquer les ports utilisés par les logiciels de Peer-to-peer (certains opérateurs le font déjà, cela ne pose aucune difficulté technique) et d’offrir à leurs clients une « option » spéciale dans leur abonnement, facturée de manière autonome, pour ré-ouvrir ces ports.
La licence globale semble donc être la meilleure solution pour apporter aux artistes une juste rémunération, sans pour autant aller à l’encontre d’une pratique sociale largement admise.