Tout travail de recherche scientifique doit s’appuyer sur une solide bibliographie. Les travaux universitaires de recherche sont, à notre époque, élaborés sur ordinateur. La bibliographie suit le mouvement: fini les fiches Bristol, toutes les références seront stockées dans une base de données informatique. Mais dans ce domaine, les outils américains sont en position de monopole absolu. Or, les références françaises, spécialement les références juridiques, ne répondent pas du tout aux standards américains. Construire une bibliographie juridique en France, par exemple avec Thomson Endnote, devient un véritable calvaire.
Pour les logiciels comme Endnote, chaque référence bibliographique est un style bibliographique appliqué aux données d’une fiche. Autrement dit, le mécanisme fonctionne en deux temps. Dans un premier temps, l’utilisateur crée une nouvelle référence et renseigne un certain nombre de champs: auteur, titre, éditeur, année, etc. Dans un second temps, le logiciel formate la citation selon les règles définies par l’utilisateur: par exemple l’auteur en majuscules, le titre en italique, l’éditeur en gras, etc.
Formats de références inadaptés
Le premier problème est l’inadaptation des formats de références. Comme on vient de le voir, une référence bibliograhique se construit dans un premier temps en renseignant des champs prédéfinis. Or, tous les types de documents ne nécessitent pas les mêmes champs. Par exemple, pour un livre, la date n’est représentée que par l’année, car le jour et le mois ne sont pas pertinents. A l’inverse, pour une décision de justice, l’année ne suffit pas: il faut préciser le jour et le mois.
La première chose que foit faire l’utilisateur lorsqu’il crée une nouvelle référence est donc de définir le type de référence dont il s’agit. Endnote offre un choix important: livre, chapitre de livre, arrêt, article re revue, article de magasine, texte de loi, facture, livre ancien, figure, dictionnaire, encyclopédie, carte, film, contenu audio, conférence, logiciel, illustration, équation, norme, etc. Il y en a tellement que l’on s’y perd. Mais ce n’est pas là le problème.
Le problème est que le type de référence détermine les champs de cette référence. Par exemple, le 3ème champ sera «reporter» (revue) pour une décision de jurisprudence, «title» (titre) pour un article d’encyclopédie, «code» pour une facture, etc. On pourrait imaginer un logiciel intelligent qui enlève les champs non nécessaire et qui rajoute les champs nécessaires, en fonction du type de référence. Mais ce n’est pas le cas: ce sont en réalité les mêmes champs qui ne font que changer de nom ! D’où le terrible problème: si je veux changer ma référence de type «case» (décision de jurisprudence) vers le type article d’encyclopédie, le champ «reporter» change de nom pour s’appeler «title», mais le contenu reste le même. Le contenu ne correspond plus du tout à l’intitulé du champ. D’ailleurs rien ne dit que le type de référence article d’encyclopédie ne contient pas un autre champ destiné à contenir les données de l’ancien champ «reporter» (en principe non, mais le cas peut se présenter).
La véritable catastrophe arrive un peu plus tard, quand on a commencé à entrer quelques dizaines de références. En effet, certains champs sont indexés. Si vous avez déjà entré dans la base de données un ouvrage de Martin, il vous suffira de taper Mar… dans toute nouvelle référence, pour que le champ se complète automatiquement avec «Martin». Mais comme le nom des champs change sans que les champs eux mêmes ne changent, on en arrivera à indexer dans une même liste des données qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. Ainsi, on peut commencer à taper le nom d’un éditeur et voir apparaître le nom d’un auteur…!
Il existe un second problème: les types de référence américains ne répondent pas aux spécificités françaises. Certains champs sont totalement inutiles en France (la plupart d’entre eux, d’ailleurs) alors que d’autre champs, nécessaires, sont absents. On essaie alors de faire sa propre cuisine «maison»: on se dit que telle ou telle information ira dans tel ou tel champ, car il n’existe pas de champ approprié et que le champ choisi serait de toute façon resté vide. Si l’on doit rentrer une autre référence du même type, quelques mois plus tard, c’est sûr, on ne se souviendra plus dans quel champ inutilisé on avait placé l’information qui n’avait sa place nulle part ailleurs.
Il existe certes une possibilité, dans Endnote, pour résoudre ces deux problèmes: on peut paramétrer les champs. Mais les changements ne seront pas forcément correctement pris en compte par le logiciel (du moins dans Endnote X pour Mac: il faut au préalable fermer toutes les bibliographies ouvertes, sinon ça ne fonctionne pas). De plus, ces changements concernent non pas la bibliographie ouverte mais le logiciel lui même. Cela implique que, d’une part, ils seront perdus en cas de réinstallation du logiciel (ce qui pourra rendre la bibliographie inutilisable en fonction de l’importance des changements apportés) et, d’autre part, on ne pourra pas utiliser la bibliographie sur un autre poste à moins de reproduire au préalable tous ces changements…
A tout cela s’ajoute un autre problème, tout aussi pénible que les précedents: il n’est pas prévu d’insérer des références dans d’autres références. En droit, on trouve des références imbriquées dans deux cas, le premier assez rare, le second très fréquent. D’abord, il est possible de faire référence à une partie d’un traité rédigée par un auteur dont on veut préciser le nom, qui n’est pas l’auteur du traité en son ensemble. On citera ainsi: Martin, «Titre du texte», in Dupont et al., «Titre du traité». Ensuite, les jugements et arrêts de jurisprudence sont souvent cités avec les commentaires qui les accompagnent. Or, d’une part le commentaire n’est pas forcément au même endroit que l’arrêt et, d’autre part, il n’est jamais du même auteur (l’auteur de la décision de justice est la juridiction qui l’a rendue, l’auteur du commentaire est la personne qui l’a écrit). On citera ainsi: Cass. Civ. 1re, «Machin c. Truc», 5 mars 2007 ; Revue X 2007, p. 10 ; note Martin, Revue Y 2008, p. 20. Endnote ne permet pas de gérer ce dernier problème. Dommage. Il faudra bricoler, et on n’arrivera pas facilement à un résultat satisfaisant.
Formats de citation inadaptés
Une fois les champs renseignés et les références créées, il reste à citer ces références dans le document. Les citations sont formatées selon un style choisi parmi plusieurs milliers de styles disponibles. Le style déterminera quels champs afficher et comment les afficher (dans quel ordre, par exemple, ou quand rajouter «ed.» avant de citer l’éditeur), en même temps que l’apparence graphique de la citation (gras, italique, souligné, etc.).
Si vous faites de la physique, de la chimie, de la biologie ou de la médecine dans une université américaine, Endnote est fait pour vous. Il est en effet livré avec des milliers de styles de citation, qui correspondent à de très nombreuses renvues dans des domaines divers et variés. Mais pour ce qui est du droit, il n’y a rien ou presque. Endnote est livré avec 3 ou 4 styles qui correspondent aux études de droit, et aucun n’est adapté aux standards français. C’est d’ailleurs totalement incompréhensible -et inadmissible, vu le prix du logiciel-: pourquoi n’y a-t-il pas un style qui respecte la norme AFNOR qu’utilise la France ?
Pis encore, et ce n’est pas la faute des éditeurs d’Endnote, on ne trouve nulle part sur internet des styles adaptés aux citations françaises. Que font les bibliothécaires ? Pourquoi les grandes bibliothèques universitaires françaises ne proposent-elles pas un style Endnote qui correspond aux normes françaises ? Pourquoi la Bibliothèque nationale ou l’Imprimerie nationale ne le font-elles pas ? Et pourquoi pas les universités ? Personne n’a donc jamais utilisé ce logiciel -qui existe depuis 1988- !?
Dernière critique: Endnote n’est pas prévu pour fonctionner avec des citations complètes en note en bas de page. Il est prévu pour fonctionner avec de courtes références vers la bibliographie finale, insérées dans le corps du texte. On ne procède jamais ainsi dans les études de droit en France.
Conclusion
Endnote est un logiciel très puissant, certes, mais il n’est pas du tout adapté aux normes françaises. A moins d’avoir du temps à perdre pour créer son propre style de citation ou de posséder une installation préconfigurée, il vaut mieux ne pas trop s’acharner et formater ses citations à la main…
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