Sous forme de questions et de réponses, cet article traite de certains points essentiels dans le droit français de l’arbitrage interne et international.
Article publié à l’origine sur Intlex.org, puis recopié sur Valhalla.fr à la fermeture du site.
A. Questions générales.
1. Qu’est-ce que l’arbitrage ?
L’arbitrage est une justice privée. Les parties à un contrat décident de soumettre les litiges relatifs à ce contrat à un arbitre ou à un tribunal arbitral.
L’arbitre est une personne privée, juriste reconnu ou expert dans le domaine technique du contrat visé, qui sera investie d’un pouvoir juridictionnel par la volonté des parties, pour connaître d’un différend entre ces parties relatif au contrat qui les lie.
L’arbitrage est connu de -presque- toutes les législations au niveau mondial. C’est devenu une méthode de résolution des différends très utilisée dans la pratique du commerce international.
L’idée essentielle de l’arbitrage est le respect de la volonté des parties: la procédure et le fond (la loi applicable au contrat) sont dominés par l’autonomie de la volonté des parties. En outre, l’arbitre tire toute sa légitimité de cette volonté qu’il ne devra méconnaître à aucun prix. Malgré l’importance de la volonté des parties, l’arbitrage ne s’exonère pas de tout contrôle de la sentence opéré par les juridictions étatiques.
Finalement, même si l’arbitre exerce une mission juridictionnelle, il ne dispose pas de l’imperium qui est propre au juge étatique. La sentence qu’il rend diffère ainsi des jugements internes: elle aura certes l’autorité de la chose jugée, mais elle ne sera pas directement exécutoire. Pour la rendre exécutoire, il sera nécessaire de passer par une procédure d’exequatur.
2. L’arbitrage est-il de nature juridictionnelle ou contractuelle ?
L’arbitrage est un procédé de nature juridictionnelle. Il s’agit de trancher un différend, et l’arbitre est pour cela doté de certaines prérogatives et de certains pouvoirs qui sont ceux du juge étatique.
Néanmoins, l’arbitre tire toute sa légitimité de la volonté des parties. Il ne peut y avoir d’arbitrage si les parties ne l’ont pas voulu. Dans ce contexte, l’arbitrage est aussi contractuel.
On peut dire que l’arbitrage est un procédé juridictionnel qui naît d’une volonté d’origine contractuelle.
3. Quels sont les différents types d’arbitrages ?
Trois distinctions sont opportunes:
Le droit français distingue l’arbitrage interne et l’arbitrage international.
L’arbitrage est aussi de nature commerciale. Même si cette réserve n’est pas applicable dans le domaine de l’arbitrage international, l’arbitrage interne ne peut pas porter sur les matières civiles.
L’arbitrage peut être institutionnel ou ad hoc.
L’arbitrage institutionnel est celui qui se déroule sous l’égide d’une institution d’arbitrage, comme la CCI ou le CIRDI. L’arbitrage ad hoc est, au contraire, celui qui se déroule indépendamment de toute institution tierce.
4. Quels sont les principaux avantages de l’arbitrage par rapport à la
justice étatique ?
Les principaux avantages de l’arbitrage sont les suivants:
- Plus de liberté pour les parties dans le choix de la procédure.
- Une plus grande confiance des parties: elles choisissent elles-mêmes les arbitres.
- Des solutions plus adaptées: les parties peuvent nommer des arbitres experts dans le domaine du contrat litigieux.
- La confidentialité: elle se manifeste tant au niveau des débats que de la sentence, qui n’est pas publiée. En revanche, le jugement d’exequatur de la sentence sera publié conformément à la législation nationale applicable.
- Rapidité: la procédure arbitrale est en général rapide. Le droit français prévoit ainsi que l’arbitrage interne se déroule dans les 6 mois suivant la constitution du tribunal arbitral.
5. Quels sont les principaux inconvénients de l’arbitrage par rapport à la justice étatique ?
Les principaux inconvénients sont les suivants:
- Le coût est généralement beaucoup plus élevé.
- Les arbitres ont souvent une autre profession et ne seront pas forcément aussi disponibles qu’un juge étatique.
- Des difficultés peuvent surgir à l’heure de demander l’exequatur de la sentence rendue par le tribunal arbitral.
6. Quelles sont les sources de l’arbitrage ?
Les sources de l’arbitrage, en droit français, sont diverses:
- Le droit français interne: le Nouveau Code de Procédure Civile et le Code Civil contiennent des dispositions relatives à l’arbitrage interne et à l’arbitrage international.
- Les Conventions internationales: par exemple, la Convention de New York de 1958 sur la reconnaissance ou l’exécution des sentences, ou la Convention européenne de Genève élaborée sous l’égide des Nations Unies.
- Des instruments dérivés: le règlement (s’il est choisi dans un arbitrage ad hoc) et la loi-type (au travers des lois étatiques calquées sur elle) de la CNUDCI.
- Les règlements des institutions dans le cas des arbitrages institutionnels: p. ex. le règlement CCI.
- La jurisprudence arbitrale, dans une certaine mesure, puisque les sentences CCI sont publiées depuis quelques années. Cependant, cette source reste minime: les sentences ne sont normalement pas publiées et, même lorsqu’elles le sont, les arbitres ne sont pas liés par les précédents.
- Les normes anationales ou transnationales, les usages du commerce: la lex mercatoria.
B. Questions relatives à la nature de l’arbitrage.
1. Comment faire la distinction entre arbitrage interne et arbitrage international ?
Le premier critère de distinction entre arbitrage interne et arbitrage international vient de la doctrine Matter élaborée pour distinguer les contrats internes des contrats internationaux. Il s’agit, selon ce courant, de qualifier d’international un contrat lorsqu’il existe un mouvement de flux et de reflux par delà les frontières. Autrement dit lorsque, par exemple, une livraison est effectuée d’un pays A vers un pays B (flux) et que le paiement est effectué en retour du pays B vers le pays A.
Ce critère s’est rapidement révélé insuffisant concernant l’arbitrage. Un nouveau critère a donc été progressivement élaboré par la jurisprudence, pour être finalement repris par le législateur à l’art. 1492 NCPC: il s’agit du critère de la mise en cause des intérêts du commerce international.
La jurisprudence précise en outre que ce critère est le seul à retenir. Il s’agit d’un critère purement économique qui ne fait intervenir aucun élément juridique. De cette manière, sont indifférents à la qualification d’interne ou d’international de l’arbitrage la nationalité des parties, leur domicile, le siège de l’arbitrage, etc.
Ce critère est appliqué au cas par cas par les tribunaux, en fonction des circonstances de l’espèce, ce qui est source d’une grande insécurité juridique.
2. Quelle est la portée de la distinction entre arbitrage interne et arbitrage international ?
Selon que l’arbitrage est interne ou international, le régime juridique applicable est différent:
- De manière générale, les normes juridiques applicables ne sont pas les mêmes (voir le NCPC).
- Les nullités: On constate que le régime de l’arbitrage international est beaucoup moins strict que le régime de l’arbitrage interne: p. ex., les clauses compromissoires en blanc (qui ne précisent pas les modalités de l’arbitrage) sont nulles dans l’arbitrage interne mais valables dans l’arbitrage international.
- Les incapacités: p. ex. Les personnes morales françaises de droit public ne peuvent pas compromettre en matière d’arbitrage interne. En revanche, elles peuvent le faire en matière d’arbitrage international.
- Le sort de la sentence: une sentence rendue en France, que l’arbitrage soit interne ou international, pourra être annulée. En revanche, la sentence rendue en matière interne pourra faire l’objet d’un appel alors que la sentence rendue en matière internationale ne pourra être sanctionnée qu’à l’occasion du recours en annulation (siège de l’arbitrage en France) ou d’une procédure d’exequatur (siège de l’arbitrage à l’étranger).
3. Comment apprécier la «commercialité» de l’arbitrage ?
La «commercialité» de l’arbitrage, ou son caractère commercial, ne s’apprécie pas en fonction de la notion d’acte de commerce définie dans le Code de commerce.
Est commercial tout arbitrage qui porte sur une opération économique, peu important qu’elle soit à l’origine d’un acte de commerce.
Ainsi, l’arbitrage international (et non interne) pourra porter sur des opérations civiles, dès lors qu’elles impliquent une opération économique. Ceci est particulièrement important dans le cas des contrats de travail et de consommation.
C. Questions relatives à la convention d’arbitrage.
1. Que désigne l’expression «convention d’arbitrage» ? Quels sont les
différents types de conventions d’arbitrage ?
L’expression «convention d’arbitrage» est une expression générique employée par le jurisprudence pour désigner soit la clause compromissoire soit le compromis d’arbitrage.
2. En quoi la convention d’arbitrage se distingue-t-elle de l’acte de mission ? Quel est le rôle de la convention d’arbitrage ?
La convention d’arbitrage, clause compromissoire ou compromis, est la source du pouvoir juridictionnel des arbitres. Elle est l’expression de la volonté des parties qui se transforme en véritable source de compétence juridictionnelle. C’est l’effet premier de la convention d’arbitrage: donner compétence à un tribunal arbitral.
L’effet second de la convention d’arbitrage est de définir les modalités d’arbitrage: le siège, la procédure, la loi applicable, la nomination des arbitres, etc.
L’acte de mission est un acte facultatif qui n’octroie aucune compétence particulière aux arbitres. Son but est de définir la mission des arbitres. L’acte de mission est important s’il existe, car l’on sait que les arbitres qui outrepassent les limites de leur mission verront leur sentence annulée ou privée d’effet exécutoire (art. 1502 NCPC). Mais l’acte de mission n’est pas obligatoire: l’arbitre peut tout à fait définir les limites de sa mission sur la base des prétentions formulées par les parties au début et au cours de l’instance.
3. Quelle est la différence entre une clause compromissoire et un compromis ?
La clause compromissoire est stipulée dans le contrat avant la survenance du litige. A l’inverse, le compromis est conclu par les parties postérieurement à la survenance du litige, dans le but de le soumettre à une juridiction arbitrale pour que celle-ci le résolve.
Parfois la clause compromissoire est interdite alors que le compromis est autorisé. C’est notamment le cas, en matière interne, pour les contrats de travail: les droits sont indisponibles tant que le contrat existe, mais ils deviennent disponibles après son extinction. Or, un arbitrage interne ne peut porter sur des droits indisponibles.
4. Quelle est la loi applicable à la convention d’arbitrage: devant le juge et devant l’arbitre ?
La loi applicable à la convention d’arbitrage est d’abord celle choisie par les parties.
Si les parties n’ont pas choisi de loi, l’arbitre pourra avoir recours à la loi désignée par la règle de conflit qu’il estime appropriée, ou procéder directement par application de règles matérielles.
Le juge français devra, lui, procéder par application de règles matérielles. Il s’agit de la portée de la jurisprudence Dalico: la validité de la convention d’arbitrage s’apprécie en application d’une règle matérielle du droit français de l’arbitrage international, indépendamment de toute loi étatique désignée par une règle de conflit. Autrement dit: pas de raisonnement conflictuel dans ce domaine.
5. Les parties peuvent-elles choisir la loi applicable à la convention d’arbitrage ?
Oui. v. question précédente.
6. Une convention d’arbitrage peut-elle être contraire à l’ordre public ?
On pourrait l’imaginer. Ce serait par exemple le cas d’une convention qui prévoirait la constitution d’un tribunal partial ou susceptible de l’être. Le juge français pourrait alors annuler la clause compromissoire sur le fondement de sa contrariété à l’ordre public, mais il suivrait plus probablement un raisonnement différent en refusant de donner effet à la sentence, au motif du défaut dans la composition du tribunal arbitral (art. 1502).
7. L’annulation du contrat prive-t-elle l’arbitre de sa compétence ?
Non. La convention d’arbitrage est indépendante du contrat qui la contient. Ainsi, lorsque ce contrat est annulé par l’arbitre, celui-ci conserve tout de même la compétence qu’il tirait de la convention d’arbitrage.
La solution a été consacrée en droit français par l’arrêt Gosset (1967) et confirmée par l’arrêt Dalico.
8. Qu’advient-il de la convention d’arbitrage si le contrat principal
est nul ab initio ?
En application du principe d’autonomie de la clause compromissoire, la jurisprudence française estime que la nullité ab initio du contrat principal n’emporte pas la nullité de la clause compromissoire qu’il contient.
La solution pourrait tout de même être critiquée: en l’absence de tout consentement (comme c’est le cas avec les «erreurs-obstacle», in negotium ou in corpore), comment soutenir que les parties se seraient mises d’accord pour conclure une convention d’arbitrage portant sur un contrat principal qu’elles n’ont jamais voulu !?
9. La convention d’arbitrage est-elle transmise avec le contrat
principal (cession de créance, de dette ou de contrat, novation, etc.) ?
Le principe d’autonomie de la clause compromissoire trouve ici son opposé dans le principe de transmissibilité de la clause compromissoire. Oui, la clause compromissoire sera en principe transmise avec le contrat principal. Mais les parties ont toujours la liberté d’en décider autrement.
D. Questions relatives à l’arbitrabilité du litige.
1. Qu’appelle-t-on «arbitrabilité objective» ? Qu’appelle-t-on «arbitrabilité subjective» ?
On désigne sous l’appellation «arbitrabilité» l’aptitude d’un litige à faire l’objet d’un arbitrage, ratione materiae et ratione personae.
L’arbitrabilité objective désigne l’aptitude d’un litige à faire l’objet d’un arbitrage ratione materiae, c’est-à-dire en fonction de la matière sur laquelle porte le litige. Par exemple, les litiges qui relèvent du droit civil ne peuvent pas faire l’objet d’un arbitrage interne alors qu’ils peuvent être soumis à une procédure d’arbitrage international. Plus généralement, c’est de l’effet d’éviction de l’ordre public et des lois de police dont il est ici question.
L’arbitrabilité subjective désigne l’aptitude d’un litige à faire l’objet d’un arbitrage ratione personae, c’est-à-dire en fonction des parties impliquées. Une partie de la doctrine refuse l’appellation «arbitratibilité subjective» par opposition à l’arbitrabilité objective, et préfère parler de «capacité à compromettre». Il est en effet admis que l’arbitrage ne peut porter que sur des droits disponibles ; toute la question est donc de savoir si telle ou telle personne morale ou physique, de droit privé ou public, dispose de la capacité à compromettre. Le problème revêt une importance particulière pour les personnes de droit public, les Etats et leurs démembrements.
2. Quelle loi appliquer à la question de l’arbitrabilité du litige ?
On peut envisager plusieurs possibilités, sans qu’aucune d’entre elles ne soit réellement satisfaisante:
- La loi du contrat (lex contractus)
L’application de la loi du contrat vient naturellement à l’esprit. Ce n’est pourtant pas un bon choix: les parties pourraient s’exonérer des dispositions de leurs lois nationales restreignant leurs capacités à compromettre en choisissant une loi tierce pour régir leur contrat.
- La loi du lieu d’exécution de la sentence
Le choix de la loi du lieu d’exécution de la sentence ne résiste pas à 3 critiques: d’abord, il est très souvent difficile de déterminer à l’avance le lieu d’exécution ; ensuite, il y a souvent plusieurs lieux d’exécution ; finalement, le lieu d’exécution n’a pas forcément de lien avec la capacité des parties, ce n’est donc pas forcément un choix pertinent…
- La loi du siège de l’arbitrage
La loi du siège de l’arbitrage peut se voir opposer le même argument que la lex contractus: le lieu de l’arbitrage peut en effet être fixé par les parties. En outre, il n’a pas forcément de lien avec les parties ; sa fixation peut résulter de considérations de pure opportunité. C’est pourtant la solution retenue par la doctrine majoritaire. Il y a une raison à cela: ce sont les juridictions du siège qui sont compétentes pour connaître d’un éventuel recours en annulation contre la sentence.
3. Comment la jurisprudence relative à l’article 2060 CC a-t-elle évolué ?
On peut dégager 3 étapes dans l’évolution de la jurisprudence relative à l’article 2060 CC:
- Interdiction totale de l’arbitrage pour toutes les matières touchant l’ordre public.
- Jurisprudence «Tissot»: l’arbitrage ne sera pas interdit du seul fait que la matière touche à l’ordre public ; en revanche, s’il y a une violation effective de l’ordre public, l’arbitre devra se déclarer incompétent.
- Jurisprudence «Ganz-Labinal-Toulousy»: il ressort du principe de compétence-compétence que l’arbitre a le pouvoir de constater la violation de l’ordre public et d’en tirer les conséquences en droit (en prononçant, par exemple, l’annulation du contrat), sous le contrôle du juge de l’annulation.
Une jurisprudence récente a tendance à ne recourir à l’article 2060 que lorsque la matière «touche au plus près» l’ordre public. Cela ne paraît pourtant pas très cohérent: soit l’ordre public est violé soit il ne l’est pas…
4. Un litige relevant du droit du travail peut-il faire l’objet d’une procédure arbitrale ? Avec quelles restrictions ?
Les droits qui relèvent du droit social sont indisponibles, il ne peuvent donc pas faire l’objet d’un arbitrage interne. Cette réserve est néanmoins levée en matière d’arbitrage international.
En matière d’arbitrage international, la Ch. sociale de la C. de cass. (affaire «Chauzy») a d’abord affirmé que la clause compromissoire était nulle dans les contrats de travail.
Cette jurisprudence fut récemment abandonnée (deux arrêts Cass. Soc. 16 fév. et 4 mai 1999). Désormais, la clause compromissoire insérée dans un contrat de travail est simplement inopposable au salarié. Cela signifie que le salarié peut choisir de l’actionner, mais que l’employeur ne peut l’y obliger. On notera que l’inopposabilité d’une clause du contrat à une des parties est une notion bien étrange au regard du droit des obligations…
5. Un litige relevant du droit de la consommation peut-il faire l’objet d’une procédure arbitrale ? Avec quelles restrictions ?
Même remarque que pour les contrats de travail en matière d’arbitrage interne.
En matière internationale, la Cour de cassation a jugé (affaire «Jaguar») que la clause compromissoire était valable lorsqu’insérée dans un contrat de consommation. C’est à l’arbitre d’en apprécier la validité au regard l’ordre public. Cependant, en droit français, une telle clause pourrait être jugée abusive et privée d’effet.
6. Toute personne physique ou morale de droit privé peut-elle avoir recours à l’arbitrage ?
Oui, sous réserve de l’ordre public et des lois de police (relatifs à la capacité à compromettre et à la protection des incapables et des parties faibles).
7. Les personnes publiques de droit français peuvent-elles avoir recours à l’arbitrage ? Quelle est la loi applicable ? Le problème de la capacité à compromettre et sa solution jurisprudentielle.
Le problème de la capacité à compromettre des personnes publiques est complexe. Normalement, les personnes publiques ne peuvent pas compromettre (prohibition posée par l’art. 2060). Mais, en matière internationale, il apparaît que les priver de cette capacité les place dans une position très défavorable par rapport aux personnes de droit privé.
La jurisprudence française a donc décidé (affaire «Galakis») que l’interdiction de compromettre posée à l’article 2060 ne s’appliquait pas dans l’ordre international. La prohibition conserve en revanche ses effets en matière interne.
La Cour précise en outre, dans l’arrêt Galakis, qu’il ne s’agit pas là d’une question de capacité qui nécessiterait de recourir à la méthode conflictuelle. Il n’y a donc pas lieu de rechercher la loi applicable en vertu d’une règle de conflit: le juge doit simplement constater que l’article 2060 n’est pas applicable en matière internationale. La loi applicable est en réalité une règle matérielle du droit français de l’arbitrage international.
Les arbitres pourront, eux, appliquer les règles de conflit habituelles: loi du siège, loi d’exécution, lois des parties (v. question suivante).
8. Le droit français de l’arbitrage international reconnaît-il aux
personnes morales de droit public étrangères la capacité à compromettre
en dépit de leur droit national ?
En vertu de la règle de conflit française, la question de la capacité est régie par la loi nationale. Ainsi, pour déterminer la capacité à compromettre d’une personne publique, il faudrait rechercher les dispositions pertinentes de sa loi nationale.
Mais, depuis l’arrêt Galakis, la Cour de cassation ne raisonne plus en terme de règles de conflit de lois pour déterminer la capacité à compromettre d’une personne de droit public.
C’est donc en vertu d’une règle matérielle du droit français de l’arbitrage international que la question doit être traitée. Cette règle, celle de la capacité de compromettre des personnes publiques, posée par l’arrêt Galakis pour une personne morale française, fut étendue aux personnes morales étrangères dans son aspect négatif par l’arrêt «Gatoil». Ainsi, une personne publique étrangère ne peut se prévaloir des dispositions restrictives de son droit national pour faire annuler a posteriori la clause compromissoire.
l’inopposabilité des dispositions restrictives de la capacité à compromettre contenues dans la loi nationale de la personne de droit public partie au contrat et à l’arbitrage est depuis lors devenue un principe général de l’arbitrage, ou principe d’ordre public réellement international. Il peut être considéré comme faisant partie de la lex mercatoria, et les arbitres pourront l’appliquer à ce titre.
9. Comment les arbitres apprécient-ils la capacité à compromettre ?
Les arbitres retiennent le plus souvent un ou plusieurs des trois fondements suivants, pour admettre que la personne publique a pu valablement consentir à l’arbitrage:
- un principe d’ordre public réellement international (v. question précédente)
- la bonne foi du cocontractant
- l’estoppel: la personne publique a d’abord consenti à l’arbitrage, en signant la clause compromissoire, pour chercher ensuite à s’en dédire. Il s’agit d’une position procédurale contradictoire qui peut être sanctionnée sur le fondement de l’estoppel.
E. Questions relatives à l’instance arbitrale.
1. Quelles sont les qualités exigées d’un arbitre ?
Certaines qualités peuvent être attachées à la personne de l’arbitre et peuvent être exigées par les parties: que l’arbitre soit un juriste reconnu ou qu’il soit expert dans le domaine du contrat en cause.
Cependant, ce sont deux autres qualités qui sont attachées à la fonction de l’arbitre et à son pouvoir juridictionnel: l’arbitre doit être indépendant et impartial.
L’indépendance signifie que l’arbitre ne doit pas avoir de lien avec l’une des parties qui serait de nature à l’influencer dans sa décision. L’arbitre peut, s’il estime que son jugement ne sera pas impartial du fait des liens qu’il entretient avec une partie, demander sa récusation. Les parties peuvent également récuser les arbitres qu’elles estiment être dans cette situation. Enfin, le défaut d’indépendance d’un arbitre peut parfois être présumé: ce fut notamment le cas dans plusieurs affaires dans lesquelles la Cour de cassation a estimé que le fait qu’un arbitre soit nommé plusieurs fois de suite par la même partie dans des litiges similaires pouvait jouer en faveur de cette partie, l’arbitre étant par avance habitué aux contrats de cette partie, à son fonctionnement, à ses arguments de défense, etc. Il faut retenir que la jurisprudence est hostile aux nominations successives du même arbitre par la même partie dans des affaires semblables.
L’impartialité signifie que l’arbitre doit juger sans accorder de faveur à l’une ou l’autre des parties. L’indépendance et l’impartialité sont deux choses différentes: l’impartialité soit être constatée lorsque, par exemple, il est clair qu’un arbitre a accordé un avantage exorbitant à une partie ou qu’il a rendu une décision en faveur d’une partie en tort. Le contrôle de l’impartialité pourra également se dérouler au niveau des garanties procédurales accordées aux parties: l’arbitre ne peut pas refuser des documents provenant d’une des parties ou refuser d’entendre l’une des parties. Néanmoins, l’arbitre est libre de choisir le fondement en droit de sa sentence, il peut opérer le raisonnement juridique qui lui semble le plus approprié: ce n’est pas là une question d’impartialité. Un arbitre qui ne serait pas impartial violerait sa mission: la sentence pourrait être annulée ou se voir refuser l’exequatur sur le fondement de l’article 1502.
2. Comment le tribunal arbitral est-il désigné ?
Le tribunal arbitral (ou l’arbitre) est désigné par les parties. La désignation doit être équitable. Ainsi, chaque partie peut désigner un arbitre, les deux arbitres désignés choisiront à leur tour un troisième arbitre qui sera le président du tribunal arbitral ; une partie peut choisir un arbitre unique parmi une liste d’arbitres annexée au contrat ; une partie peut demander à un tiers désigné par le contrat de choisir un arbitre, etc. L’idée essentielle est de ne pas laisser la possibilité à une partie de maîtriser à elle seule la composition du tribunal arbitral.
Si une difficulté survient dans la formation du tribunal, les parties pourront demander de l’aide au juge français (v. question suivante).
3. Quand et comment le juge français peut-il intervenir dans la désignation du tribunal arbitral ?
Le juge français peut intervenir dans la constitution du tribunal arbitral sous 3 conditions.
- Première condition: domaine matériel de l’intervention du juge.
Le juge étatique n’a pas à intervenir dans tous les cas. Il ne peut en réalité intervenir que lorsque survient un problème de nature à paralyser la formation du tribunal arbitral. Il aide alors à la formation de ce tribunal. Par exemple, s’il est prévu par la convention d’arbitrage que chaque partie nomme un arbitre et que les deux arbitres nommés en choisissent un troisième, et que l’une des parties refuse de nommer un arbitre, la formation du tribunal arbitral est paralysée. La partie de bonne foi pourra demander au juge français d’intervenir pour combler le manque de la partie récalcitrante: le juge nommera alors le second arbitre.
- Deuxième condition: compétence territoriale.
Le juge français ne peut intervenir pour tous les litiges dans le monde. Ainsi, il est exigé un lien de rattachement entre la France et le litige. Ce lien est caractérisé par deux possibilités alternatives: lorsque l’arbitrage se déroule en France ou lorsque la loi de procédure française a été choisie pour régir l’arbitrage.
- Troisième condition: compétence d’attribution.
Un seul juge en France est compétent pour connaître des difficultés de constitution des tribunaux arbitraux. Il s’agit du président du tribunal de grande instance (TGI) de Paris.
4. Quelle est la nature juridique des relations nouées entre l’arbitre et les parties ?
Le lien qui unit les parties à l’arbitre est de nature contractuelle. Certains éléments sortent cependant de la matière contractuelle pour entrer dans le domaine juridictionnel. Telle est la mission de l’arbitre: de nature juridictionnelle, mais fondée sur une volonté contractuelle.
Ainsi, l’arbitre tire une compétence juridictionnelle de la convention d’arbitrage qui, elle, est de nature purement contractuelle.
La nature contractuelle des relations entre l’arbitre et les parties implique des obligations pour chacun d’eux. Ainsi, l’arbitre a l’obligation de trancher le litige entre les parties conformément à sa mission, et les parties ont l’obligation de le payer en retour.
5. Comment finit l’instance arbitrale ?
La fin normale de l’instance arbitrale survient avec la reddition de la sentence. Une fois la sentence rendue, le tribunal perd ses pouvoirs. C’est une des différences entre l’arbitre et le juge étatique: après avoir prononcé la sentence, l’arbitre n’est plus arbitre, alors que le juge reste juge après avoir rendu son jugement ; l’arbitre ne l’est que pendant sa mission, et celle-ci s’achève lorsqu’il prononce sa sentence.
Il existe d’autres causes d’extinction de l’instance arbitrale: la révocation, l’empêchement, la perte des droits civils, la récusation ou le décès d’un arbitre.
L’instance arbitrale peut également expirer à son terme. Aucun délai n’est fixé en matière d’arbitrage international, mais l’arbitrage interne est enfermé par le NCPC dans un délai de 6 mois. L’arbitre ne pourra pas proroger ce délai ; les parties pourront cependant demander une prorogation au juge.
6. Qu’est-ce que le siège de l’arbitrage ?
Le siège de l’arbitrage est le lieu conventionnellement convenu par les parties où l’arbitrage est réputé se dérouler et où la sentence est réputée rendue.
Cependant, en pratique, l’arbitrage peut se dérouler et la sentence être rendue dans un autre lieu que celui du siège de l’arbitrage.
7. Pourquoi la détermination du siège de l’arbitrage est-elle importante ?
Le siège est important notamment pour la détermination de la loi de procédure applicable à l’arbitrage: celle-ci peut être choisie par les parties, mais à défaut, ce sera souvent la loi du siège qui sera choisie par les arbitres pour régir la procédure arbitrale.
Mais la véritable importance du choix du siège réside dans le pouvoir exclusif qui est accordé aux juridictions du siège pour connaître d’un recours en annulation contre la sentence (compétence issue de la Conv. de New York, 1958).
F. Questions relatives à la loi applicable au fond du litige.
1. Qui peut choisir la loi applicable au fond ?
C’est normalement aux parties de choisir la loi applicable au fond du litige. A défaut, ce choix sera opéré par l’arbitre.
2. En l’absence de choix par les parties de la loi applicable au fond,
comment l’arbitre pourra-t-il procéder pour effectuer ce choix ?
L’arbitre peut utiliser plusieurs méthodes:
- RCL du siège
L’arbitre peut recourir aux règles de conflit de lois (RCL) du pays du siège de l’arbitrage. Cette méthode, qui fut la plus utilisée dans le passé, a aujourd’hui largement perdu de son importance. En effet, le lieu du siège n’a pas forcément de lien avec le litige, et l’application de cette loi locale n’est pas forcément pertinente.
- Convergence des RCL
L’arbitre peut recourir à plusieurs RCL et constater qu’elles désignent toutes la même loi: ce sera cette loi qui devra être appliquée. Mais c’est tout le système qui tombe si l’une des RCL ne désigne pas la même loi, ou pire, si aucune des RCL ne désigne la même loi. En pratique, les arbitres examineront le plus souvent les RCL des lois nationales des parties.
- Convergence des droits matériels
L’arbitre peut également examiner les solutions apportées au problème qui se pose à lui dans les différents droits positifs en lice, sans recourir à une RCL pour départager ces différents droits nationaux. Mais cette méthode est très peu utilisée en pratique, car elle revient à résoudre le problème en application de plusieurs droits différents pour, ensuite, choisir la solution la plus appropriée. Ce n’est vraiment pas un cas d’économie des moyens.
- RCL conventionnelle
L’arbitre peut choisir une RCL d’origine conventionnelle (p. ex. Convention de Rome de 1980, CLH 1955, etc.), constatant que si cette RCL a été intégrée dans une convention internationale, c’est qu’elle réalise un certain consensus.
- Voie directe
La voie directe est, actuellement, la méthode la plus utilisée en pratique. Elle se décline en 3 variantes.
Première variante: le choix d’une RCL.
Certains règlements d’arbitrage imposent à l’arbitre d’appliquer une RCL. Dans ce cas l’arbitre, en application de la méthode de la voie directe, choisira librement la RCL qu’il désire appliquer, et appliquera ensuite la loi désignée par cette RCL.
Deuxième variante: le choix d’une loi étatique.
L’arbitre peut, par voie directe, choisir une loi étatique qu’il estime appropriée, indépendamment de l’application de toute RCL. Néanmoins, en pratique, les arbitres justifient leur choix par le rattachement de la loi choisie aux parties, au contrat ou au litige.
Troisième variante: le choix d’une loi anationale ou transnationale.
Les arbitres peuvent également appliquer des principes de la lex mercatoria, qui ne sont par hypothèse désignés par aucune RCL.
3. Les parties ou l’arbitre peuvent-ils choisir une loi anationale ou transnationale ?
Il ne fait pas de doute que les parties puissent choisir la lex mercatoria pour régir leur contrat.
En l’absence de choix d’une loi par les parties, l’arbitre pourra également appliquer la lex mercatoria (jurisp. Valenciana): en faisant cela, il juge en droit et ne viole pas les termes de sa mission.
Précisions sur la jurip. Valenciana:
- l’arrêt Valenciana nous dit que l’arbitre peut choisir «en bloc» la lex mercatoria (sans employer ce terme). Avant cet arrêt, il était déjà admis qu’il puisse appliquer ponctuellement un principe de la lex mercatoria. L’apport de l’arrêt Valenciana est donc de permettre à l’arbitre d’appliquer toute la lex mercatoria, comme loi exclusive destinée à régir le contrat.
- On déduit de la possibilité pour l’arbitre d’appliquer la lex mercatoria en l’absence de choix d’une loi par les parties, la possibilité pour les parties de choisir directement la lex mercatoria.
4. Qu’est-ce que la lex mercatoria ?
La question est discutée. Pour une partie de la doctrine, il s’agit d’un véritable ordre juridique anational, totalement indépendant des droits étatiques. Pour une autre partie de la doctrine, il s’agit d’un ordre juridique transnational, c’est-à-dire recoupant les principes communément admis par les droits nationaux. Finalement, pour une dernière partie de la doctrine, il s’agit d’une série de principes communément admis par les droits nationaux, qui ne revêt pas la forme d’un ordre juridique indépendant des ordres juridiques étatiques.
La lex mercatoria tire en tout cas son contenu (très diffus et imprécis) des principes généraux généralement admis par les droits nationaux, des principes consacrés par les conventions internationales, de la jurisprudence arbitrale (en grande partie) et des usages du commerce (cela reste à démontrer).
5. De quels principes la lex mercatoria est-elle composée ?
Voici une liste de principes communément admis comme faisant partie de la lex mercatoria:
- le principe pacta sunt servanda
- le principe de bonne foi
- le principe nemo auditur
- la capacité à compromettre des personnes morales de droit public
- l’indépendance et l’impartialité des arbitres
- la cohérence de la position procédurale des parties (estoppel)
- la liberté de choix des règles de procédure
- la liberté de choix de la RCL
- le principe de compétence-compétence
- l’autonomie de la clause compromissoire
6. Quelles critiques pourrait-on émettre à l’encontre de la lex mercatoria ?
Plusieurs critiques peuvent être formulées à l’encontre de la lex mercatoria:
- La lex mercatoria est trop imprécise. On a beaucoup de mal à en connaître le contenu. C’est forcément source d’insécurité juridique pour les parties.
- La lex mercatoria n’est pas élaborée par les commerçants, mais par des juristes (l’argument est très contestable: les juristes ne créent pas le droit pour le droit, il créent le droit en constatation d’une nécessité sociale).
- La lex mercatoria n’est pas un ordre juridique: les usages du commerce sont trop divers et variés pour qu’il y ait une véritable communauté des marchands (societas mercatorum) homogène.
- La lex mercatoria n’est pas forcément reconnue par les ordres juridiques étatiques (même si c’est le cas en droit français).
- La lex mercatoria n’est de toute façon qu’une énumération de principes déjà consacrés par les droits nationaux et par les conventions internationales.
7. Les lois de police de l’Etat du siège doivent-elles être appliquées ?
Avant de répondre à cette question et aux deux questions suivantes, il faut bien comprendre une chose: l’arbitre n’a aucune obligation d’appliquer une loi de police. Il en a cependant la faculté, et il le fera s’il l’estime opportun.
L’arbitre n’est pas obligé d’appliquer les lois de police du siège. Cependant, dans la plupart des cas, motivé par la recherche de l’efficacité de sa sentence, il les appliquera. En effet, les juridictions du siège sont compétentes pour connaître d’un éventuel recours en annulation contre la sentence. Or, contrairement à l’arbitre, le juge étatique à l’obligation d’appliquer les lois de police du for: la sentence les méconnaissant sera alors presque à coup sûr sanctionnée par le juge de l’annulation. Encore que la méconnaissance d’une loi de police du for ne sera sanctionnée en droit français, sur le fondement de l’article 1502 NCPC, que si elle est contraire à l’ordre public. Si l’on comprend ici l’ordre public dans sa notion d’ordre public international, plus restreint que l’ordre public interne, la sentence aurait une chance minime d’échapper à l’annulation. Mais ce n’est pas cette interprétation qui est retenue: les tribunaux considèrent en effet que c’est la violation d’une loi de police française qui est elle-même contraire à l’ordre public français.
8. Les lois de police de la lex contractus sont-elles applicables ?
L’arbitre, comme toujours, a la faculté d’appliquer les lois de police de la lex contractus, mais il n’en a pas l’obligation. Il pourra donc appliquer une loi de police de la loi choisie par les parties pour régir le contrat s’il l’estime opportun. En pratique, il est préférable que les lois de police de la lex contractus soient appliquées: les écarter reviendrait à permettre aux parties de choisir une loi tout en écartant certaines de ses dispositions les plus importantes. L’arbitre appliquera donc en principe les lois de police de la lex contractus, sauf s’il estime qu’elles sont contraires aux prévisions des parties ou inéquitables.
Le juge étatique, quant à lui, n’a pas non plus d’obligation d’appliquer les lois de police étrangères, il en a cependant la faculté (art. 7 Conv. Rome 1980). En revanche, si la lex contractus est la loi du for, il aura l’obligation d’en appliquer les lois de police.
9. Les lois de police des Etats tiers doivent-elles être appliquées ?
La question est difficile. Il n’y a pas de solution absolue. Le juge a la possibilité d’appliquer les lois de police tierces (art. 7 Conv. Rome 1980), mais il n’en a pas l’obligation. L’arbitre se place dans la même situation.
L’arbitre est cependant tenu du principe fondamental qui gouverne l’arbitrage: le respect de la volonté des parties. Ainsi, si les parties ont choisi une loi, l’arbitre ne devrait pas pouvoir appliquer une loi tierce, fut-elle impérative, car il méconnaîtrait alors leur volonté. Certains arbitres sont hostiles à l’application de lois de police tierces, d’autres l’acceptent. En revanche, lorsque les parties n’ont pas choisi de loi pour régir leur contrat, l’arbitre peut librement appliquer une loi de police, puisqu’il ne fait alors qu’exercer son pouvoir de choix de la loi applicable au contrat en l’absence de choix des parties.
Mais c’est un autre mécanisme que l’application des lois de police tierces qui semble emporter la préférence des arbitres: il s’agit de leur prise en considération. L’idée est la suivante: constater la violation de la loi de police tierce comme un élément de fait, et en tirer les conséquences en droit en application de la lex contractus. Cependant, ce raisonnement n’est pas parfait: il n’est pas très cohérent de tirer les conséquences de la violation d’une loi A sur le fondement d’une loi B, dans la mesure où c’est la loi violée (la loi A) qui devrait fixer la sanction de cette violation.
10. Existe-t-il un ordre public réellement international ? Est-il efficace ?
Certains pensent qu’il existe un ordre public réellement international, différent des ordres publics étatiques. La question fait l’objet d’une importante controverse.
Le premier problème est celui de la composition de cet ordre public: est-il composé des principes généralement admis ou des principes unanimement admis ? Dans le premier cas, il serait difficile d’opposer à un ordre interne un principe qu’il ne reconnaît pas (v. ci-dessous, deuxième problème). Dans le second cas, l’ordre public réellement international n’a plus de sens, puisque les principes qu’il contient sont déjà consacrés par tous les ordres internes.
Le deuxième problème a trait à la place dans la hiérarchie normative de cet ordre public réellement international. Pour évincer une loi étatique, il doit lui être supérieur. Or, si le droit international est supérieur au droit interne (art. 55 CF), ce n’est que parce qu’il a été accepté par l’Etat (ratification). Or, la lex mercatoria (qui contient ces principes d’ordre public réellement international) n’est pas élaborée par les Etats, mais par la pratique du commerce international et par la jurisprudence arbitrale.
Le troisième problème qui se pose est relatif au contenu de l’ordre public réellement international: celui-ci est flou et imprécis. Or, sa fonction première est l’éviction et, après avoir évincé une norme juridique, il faut nécessairement en trouver une autre qui remplacera la première. Il apparaît que la lex mercatoria n’est dans bien des cas pas capable de combler le vide qui résulterait d’une telle éviction. En outre, le caractère flou et imprécis du contenu de la lex mercatoria est dans une large mesure source d’insécurité juridique.
En pratique, les arbitres sont plutôt réticents à appliquer des principes issus de l’ordre public réellement international. Peu de sentences reconnaissent ces principes comme déterminants et l’immense majorité d’entre elles s’appuient en outre sur des principes reconnus par les ordres juridiques internes concernés.
G. Questions relatives à l’exécution de la sentence.
1. Quelle est la différence entre la reconnaissance et l’exécution d’une sentence ?
La question est mal formulée (mais c’est souvent le cas): on devrait dire «quelle différence entre demande en reconnaissance et demande en exequatur».
La demande en reconnaissance vise à faire reconnaître par le juge étatique un état de fait consacré par une décision étrangère (ou arbitrale). La demande en exequatur vise quand à elle à attribuer la force exécutoire à une décision étrangère ou arbitrale. Par exemple, une décision qui prononce un divorce n’a pas besoin d’être exécutée: le divorce est un état de fait qu’il suffit de constater. En revanche, une décision qui condamne au paiement de dommages-intérêts devra être exécutée: l’exécution est alors le paiement effectif des sommes dues en vertu de la condamnation.
Les sentences arbitrales jouissent de l’autorité de la chose jugée, mais elles ne sont pas exécutoires. Cela signifie que le créancier ne peut aller trouver les forces de l’ordre, se prévalant de la sentence, pour demander l’exécution forcée. La sentence, pour posséder la force exécutoire, doit recevoir le sceau du juge de l’exequatur, juge national de chaque pays où l’exécution est demandée.
2. Quelle est la portée du contrôle effectué par le juge de l’exequatur lorsque la sentence a été rendue à l’étranger ?
Lorsque la sentence a été rendue à l’étranger, le juge français ne peut qu’accorder ou refuser la reconnaissance ou l’exequatur à cette sentence. L’exequatur est en principe accordé, sauf si la sentence n’existe pas ou qu’elle est «manifestement» contraire à l’ordre public. Le juge effectue dans tous les cas un contrôle sommaire qui s’arrête aux deux motifs précités.
En revanche, en appel (contre l’ordonnance d’exequatur…), le juge examinera les 5 cas limitatifs prévus à l’article 1502 (v. questions 8 à 12).
3. Quelle est la portée du contrôle effectué par le juge de l’exequatur lorsque la sentence a été rendue en France en matière internationale ?
Si la sentence a été rendue en France, en matière interne ou internationale, le juge français est (le seul) compétent pour connaître d’un recours en annulation contre elle.
4. Pour quels motifs l’exequatur d’une sentence pourrait-il être refusé ?
Devant le juge de l’exequatur, seuls deux motifs sont recevables: la sentence n’existe pas ; la sentence est manifestement contraire à l’ordre public. Le contrôle est, à ce stade, minimal.
Devant le juge d’appel, 5 motifs, énumérés à l’article 1502, sont recevables:
- la sentence a été rendue en l’absence de convention d’arbitrage valable ;
- la sentence a été rendue par un tribunal arbitral non valablement constitué ;
- la sentence a été rendue au mépris de la mission conférée à l’arbitre ;
- la sentence a été rendue en violation du principe du contradictoire ;
- la reconnaissance ou l’exequatur de la sentence est contraire à l’ordre public.
5. Peut-on recourir contre la décision refusant ou accordant l’exequatur ?
Oui, dans les cas où le recours en annulation n’est pas ouvert (sentence rendue à l’étranger). Non, dans les cas où le recours en annulation est ouvert (sentence rendue en France).
6. Peut-on recourir contre la sentence elle-même ? Dans quels cas ?
Oui, le recours en annulation est ouvert contre la sentence lorsqu’elle a été rendue en France en matière interne ou internationale. Cependant, le juge n’opère en aucun cas de révision au fond de la sentence, il reste limité aux 5 chefs de contrôle prévus à l’article 1502.
7. Quelle est la portée en France d’une sentence annulée à l’étranger ?
La sentence annulée à l’étranger, qui n’est pas intégrée dans l’ordre juridique de l’Etat du siège, sera valable en France sous réserve du contrôle opéré par le juge de l’exequatur. v. jurisp. Norsolor-Hilmarton-Chromalloy
8. Qu’advient-il de la sentence rendue en l’absence de convention d’arbitrage valable ?
Elle peut être annulée, ou se voir refuser la reconnaissance ou l’exequatur.
Attention de ne pas confondre cela avec l’autonomie de la clause compromissoire: ici, c’est la clause compromissoire elle-même qui est viciée (absence, nullité, expiration). L’arbitre aurait dû sanctionner cette clause compromissoire viciée (principe de compétence-compétence: l’arbitre a compétence avant le juge étatique), mais il ne l’a pas fait ; c’est alors au juge de l’exequatur d’opérer son contrôle.
9. Qu’advient-il de la sentence rendue par un tribunal arbitral non valablement constitué ?
Elle peut être annulée, ou se voir refuser la reconnaissance ou l’exequatur.
Le défaut de constitution du tribunal englobe les cas énumérés dans les questions relatives à l’instance arbitrale: défaut d’indépendance ou d’impartialité de l’arbitre, etc.
10. Qu’advient-il de la sentence rendue au mépris de la mission conférée à l’arbitre ?
Elle peut être annulée, ou se voir refuser la reconnaissance ou l’exequatur.
La mission de l’arbitre est de se conformer aux demandes des parties: il doit répondre à toutes les demandes des parties, et seulement aux demandes des parties. Ceci vise les cas d’infra petita et d’ultra petita. Il est en revanche libre de choisir son fondement juridique.
11. Qu’advient-il de la sentence rendue en violation du principe du contradictoire ?
Elle peut être annulée, ou se voir refuser la reconnaissance ou l’exequatur.
C’est une garantie procédurale fondamentale, qui peut se confondre aux les garanties procédurales d’ordre public.
12. Qu’advient-il de la sentence lorsque sa reconnaissance est contraire à l’ordre public ?
Elle peut être annulée, ou se voir refuser la reconnaissance ou l’exequatur.
Trois remarques:
- il s’agit aussi bien de l’ordre public de fond que de l’ordre public procédural ;
- il ne s’agit pas d’un ordre public transnational mais de l’ordre public français, apprécié in concreto: c’est-à-dire que ce n’est pas la violation d’un règle d’ordre public qui motive la sanction, mais le résultat de cette violation qui est lui-même contraire à l’ordre public ;
- l’appréciation de la violation de l’ordre public s’opère au moment de la sanction (principe d’actualité de l’ordre public).
H. Questions relatives à la jurisprudence.
1. L’arrêt «Hecht» (Cass).
- La clause compromissoire doit être interprétée indépendamment de toute loi étatique (1ère phase de l’évolution vers la jurisp. Dalico).
- La clause compromissoire stipulée dans un contrat mixte (commercial pour l’une des parties et civil pour l’autre) est normalement illicite en droit français (arbitrage interne), mais cette illicéité n’est pas applicable en matière d’arbitrage international.
2. L’arrêt «Menicucci» (CA Paris).
- La clause compromissoire est indépendante de toute loi étatique: sa validité ne s’apprécie pas en fonction d’une loi désignée par la RCL applicable, mais en fonction d’une règle matérielle du droit français de l’arbitrage international. Autrement dit, la validité de la clause compromissoire s’apprécie «au regard des seules exigences de l’ordre public international». (2ème phase de l’évolution vers la jurisp. Dalico).
*3. L’arrêt «Dalico» (Cass.).
- La clause compromissoire est certes indépendante du contrat au fond (confirmation de la jurisp. Gosset), mais elle est aussi indépendante de toute loi étatique.
- La validité de la clause compromissoire s’apprécie en vertu d’une règle matérielle du droit français de l’arbitrage international, sans que la loi applicable à la clause compromissoire doive être recherchée en mettant en oeuvre une RCL.
- la validité de la clause compromissoire s’apprécie par rapport à la commune intention des parties (nouveauté consacrée par cet arrêt).
- L’autonomie de la clause compromissoire, appréciée selon la commune intention des parties, n’existe que sous réserve des dispositions impératives du droit français (lois de police et ordre public).
4. L’arrêt «Zanzi» (Cass.).
- Il existe un «principe de validité de la clause compromissoire» qui ne semble admettre aucune exception.
- Cette jurisprudence fut abandonnée, pour en revenir à la jurisp. Dalico.
5. L’arrêt «Gosset» (Cass.).
- Le critère de la «mise en jeu des intérêts du commerce international» remplace pour la première fois la doctrine Matter pour distinguer l’arbitrage interne de l’arbitrage international.
- La clause compromissoire est indépendante du contrat de fond. La nullité du contrat n’emporte pas la nullité de la clause compromissoire, et ce, même si les deux negotia sont contenus dans le même instrumentum.
*6. L’arrêt «Galakis» (Cass.).
- L’interdiction de compromettre faite aux personnes morales de droit public n’est pas une question de capacité au sens de l’art. 3 CC.
- La Cour d’appel a seulement à rechercher si l’interdiction posée en droit interne s’applique aussi dans l’ordre international.
- La solution se trouve dans une règle matérielle du droit français de l’arbitrage international: les personnes morales de droit public peuvent compromettre dans l’ordre international et sont valablement liées par une convention d’arbitrage international.
7. L’arrêt «Gatoil» (Cass.).
- La solution de l’arrêt Galakis s’applique non seulement aux personnes morales de droit public françaises mais aussi, au regard du droit français, aux personnes publiques étrangères. La solution de l’arrêt Galakis est bilatéralisée.
*8. L’arrêt «Mitsubishi» (US. S. Ct.).
- Le droit américain antitrust est une loi de police qui doit être appliquée par les arbitres, même si le siège de l’arbitrage est fixé hors des Etats-Unis.
9. L’arrêt «Labinal» (CA Paris) ; et 10. l’arrêt «Ganz» (CA Paris).
Labinal et Ganz: l’arbitre n’a plus à se déclarer incompétent lorsqu’il se trouve face à un litige inarbitrable ; il doit sanctionner l’inarbitralité du litige lui-même.
11. L’arrêt «Jaguar» (Cass.).
- En vertu du principe d’autonomie de la clause compromissoire, cette-ci est valable dans l’ordre international sous réserve de l’ordre public, même lorsque le litige porte sur un contrat qui relève du droit de la consommation.
*12. L’arrêt «Valenciana» (Cass.).
- L’arbitre qui, en l’absence de choix par les parties de la loi applicable au contrat, a choisi d’appliquer la lex mercatoria a bien statué en droit et n’a pas violé les termes de sa mission.
*13. L’affaire «Hilmarton» (CA/Cass.).
- L’annulation d’une sentence à l’étranger n’a pas de conséquence en France: la sentence n’est pas intégrée dans l’ordre juridique de l’Etat du siège de l’arbitrage, et son annulation ne la prive pas d’effet en France, dès lors qu’elle a reçu le sceau du juge français de l’exequatur.
*14. L’arrêt «Eco Swiss» (CJCE).
- «une juridiction nationale saisie d’une demande en annulation d’une sentence arbitrale doit faire droit à une telle demande lorsqu’elle estime la sentence effectivement contraire à l’article 81 TCE, dès lors qu’elle doit selon les règles de procédure internes faire droit à la demande en annulation fondée sur la méconnaissance des règles nationales d’ordre public».
- Autrement dit, le droit communautaire de la concurrence est d’ordre public dans les Etats membres, et ce sont les juges de ces Etats membres qui doivent en assurer le respect, dès lors que leurs lois nationales les obligent à sanctionner les sentences contraires à l’ordre public interne.