Le 17 octobre 2006 le président des Etats-Unis, George W Bush, a signé une loi appelée « Military Commissions Act » qui permet aux enquêteurs de la CIA d’utiliser la torture sur des personnes suspectées de terrorisme.
Article publié à l’origine sur Intlex.org, puis recopié sur Valhalla.fr à la fermeture du site.
En temps de guerre, les soldats faits prisonniers par les forces du camp opposé sont en principe protégés par les Conventions de Genève (sous réserve de ratification). Les Conventions de Genève consistent en 4 traités internationaux. Le premier, adopté en 1864 et révisé pour la dernière fois en 1949, concerne l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne ((V. le texte de la Convention de Genève I : http://www.icrc.org/dih.nsf/3355286227e2d29d4125673c0045870d/77aeb4ee185cb669c1256414005dd68a en français.)). La seconde, adoptée en 1949 et remplaçant la Convention de La Haye X de 1907, concerne l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer ((V. le texte de la Convention de Genève II : http://www.icrc.org/dih.nsf/3355286227e2d29d4125673c0045870d/d451cee17d14bde7c1256414005de19d en français.)). La troisième, adoptée en 1929 et révisée pour la dernière fois en 1949, est relative au traitement des prisonniers de guerre ((V. le texte de la Convention de Genève III : http://www.icrc.org/dih.nsf/3355286227e2d29d4125673c0045870d/456114a02468c862c1256414005de923 en français.)). La quatrième, enfin, adoptée en 1929 et basée sur la Convention de La Haye IV de 1907, est relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre ((V. le texte de la Convention de Genève IV : http://www.icrc.org/dih.nsf/3355286227e2d29d4125673c0045870d/e8acc1a1e2a34f5fc1256414005deecc en français.)). On parle souvent de « la » Convention de Genève pour désigner sans distinction et en bloc le troisième et le quatrième traité.
La troisième Convention de Genève précise que la violation de certaines de ses dispositions est particulièrement grave et constitue un crime de guerre: « la torture ou les traitements inhumains, (…) le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé, (…) priver une personne de son droit d’être jugée ». Ce que permet la loi Military Commissions Act est donc élevé au rang de crime de guerre par la Convention de Genève III. Mais encore faut-il pour constater une violation de cette convention au sens du Droit, que les situations concernées rentrent dans son champ d’application.
Dans le Military Commissions Act, le législateur américain crée une nouvelle catégorie de personnes: les « unlawful enemy combatant ». Il s’agit de personnes qui, selon cette loi, ne sont pas soumises aux Conventions de Genève, et qui ne sont donc pas protégées par elles. Par opposition, les soldats soumis aux Conventions de Genève sont considérés comme « lawful combatants ». L’article 4 de la troisième Convention de Genève (GCIII) définit la notion de « lawful combatant detained » ou « prisonnier de guerre » ; l’article 5 prévoit qu’il incombera à un tribunal compétent de déterminer si une personne répond aux conditions prévues à l’article 4.
La section 948a du titre 10 du United States Code, telle qu’ajoutée par la loi Military Commissions Act, définit un « unlawful enemy combatant » comme:
(i) a person who has engaged in hostilities or who has purposefully and materially supported hostilities against the United States or its co-belligerents who is not a lawful enemy combatant (including a person who is part of the Taliban, al Qaeda, or associated forces);
or
(ii) a person who, before, on, or after the date of the enactment of the Military Commissions Act of 2006, has been determined to be an unlawful enemy combatant by a Combatant Status Review Tribunal or another competent tribunal established under the authority of the President or the Secretary of Defense.
Ces dispositions n’excluent pas leur application aux citoyens américains. Néanmoins, la section 948c du titre 10 du United States Code dispose: « Any alien unlawful enemy combatant is subject to trial by military commission under this chapter ». Il semblerait donc que les dispositions précitées ne s’appliquent qu’aux personnes ne possédant pas la citoyenneté américaine (« aliens »).
La loi Military Commissions Act retire également le droit aux étrangers considérés comme « unlawful enemy combatants » de se prévaloir de l’habeas corpus. Il semblerait donc que des citoyens américains puissent être considérés comme « unlawful enemy combatants », mais dans ce cas ceux-ci ne seraient pas privés des droits conférés par l’habeas corpus. Les étrangers, en revanche, perdent le droit de se prévaloir de l’habeas corpus. Rappelons que l’ordonnance d’habeas corpus ((Habeas Corpus Act: V. le texte original : http://libertyboy.free.fr/misc/humanrights/texts/habeas_corpus.php et V. la version française : http://libertyboy.free.fr/misc/humanrights/texts/habeas_corpus_f.php )) est une procédure légale d’origine anglaise qui remonte au Moyen Age et qui possède une valeur constitutionnelle aux Etats-Unis. En vertu de l’habeas corpus, tout détenu à le droit d’être jugé par un tribunal qui décidera de son emprisonnement ou de sa remise en liberté. L’habeas corpus ne peut être suspendu aux Etats-Unis qu’en période de guerre ((The right to challenge detention «shall not be suspended» except in cases of «rebellion or invasion.». V. l’article Court Told It Lacks Power in Detainee Cases : http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2006/10/19/AR2006101901692.html?nav=rss_nation/special (Source: Washington Post))).
La loi Military Commissions Act est loin de faire l’unanimité aux Etats-Unis. Ainsi, certains relèvent le fait que sa formulation permet au Président des Etats-Unis de décider seul de l’emprisonnement et de la torture d’une personne, qu’elle possède ou non la citoyenneté américaine ((V. l’article Twilight Struggle: Finally Standing Up as the Republic Crashes Down : http://www.chris-floyd.com/index.php?option=com_content&task=view&id=859 à ce propos.)). Selon Amnesty International, la loi va à l’encontre des droits de l’homme ((The Act «contravenes human rights principles. Source: US Congress gives green light to human rights violations in the ‘war on terror’ : http://web.amnesty.org/pages/stoptorture-060930-features-eng»)). Dans un éditorial, le New York Times qualifie la loi de « tyrannique » ((«A tyrannical law that will be ranked with the low points in American democracy, our generation’s version of the Alien and Sedition Acts.»)). Enfin, le journaliste Keith Olbermann : http://en.wikipedia.org/wiki/Keith_Olbermann de MSNBC interprète la loi Military Commissions Act comme la « Mort de l’Habeas Corpus » (Death of Habeas Corpus).
Amnesty International dresse par ailleurs une liste ((L’article est disponible en version française : http://web.amnesty.org/pages/stoptorture-060930-features-fra ou en version anglaise : http://web.amnesty.org/pages/stoptorture-060930-features-eng )) de « ce que l’on doit savoir » à propos du Military Commissions Act:
- La loi « prive les tribunaux américains de la possibilité de prendre en compte des requêtes en habeas corpus contestant la légalité d’une détention ».
- La loi « autorise le pouvoir exécutif à charger des commissions militaires de juger des combattants ennemis étrangers et illégaux , selon une définition dangereusement large ».
- La loi déclare recevables les preuves obtenues par la torture.
- La loi permet aux commissions militaires de condamner à mort.
- La loi interdit le recours aux Conventions de Genève.
- La loi contient des dispositions rétroactives.
On peut également relever que la loi américaine va à l’encontre des principes consacrés par le jus cogens ((Sur le jus cogens, v. Wikipedia : http://en.wikipedia.org/wiki/Jus_cogens )). Le jus cogens constitue un ensemble de normes de droit international qui sont considérées comme étant acceptées par tous les Etats en bloc. Contrairement aux sources traditionnelles du droit international (le droit des traités) qui font intervenir la volonté des Etats, le jus cogens s’impose à eux de manière impérative ((On parle en anglais de peremptory norms ou normes péremptoires pour désigner le jus cogens.)). On considère généralement que relèvent du jus cogens l’interdiction des guerres illégales, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerres, de la piraterie, des génocides, de l’esclavage et de la torture.