L’exclusivité de l’action en garantie des vices cachés, issue du droit spécial de la vente, a finalement été consacrée par la Cour de cassation, après de nombreuses hésitations jurisprudentielles. Dans un arrêt du 14 mai 1996, la première Chambre civile affirme la spécificité de la garantie des vices cachés, qui est inconciliable avec les règles générales du droit des contrats. La haute juridiction confirme sa jurisprudence antérieure en distinguant le vice caché du défaut de conformité, et va plus en avant en le distinguant également de l’erreur vice du consentement.
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L’exclusivité de l’action en garantie des vices cachés, issue du droit spécial de la vente, a finalement été consacrée par la Cour de cassation, après de nombreuses hésitations jurisprudentielles. Dans un arrêt du 14 mai 1996, la première Chambre civile affirme la spécificité de la garantie des vices cachés, qui est inconciliable avec les règles générales du droit des contrats. La haute juridiction confirme sa jurisprudence antérieure en distinguant le vice caché du défaut de conformité, et va plus en avant en le distinguant également de l’erreur vice du consentement.
Il s’agissait en l’espèce d’un litige né à l’occasion d’un contrat de vente de tuiles. M. Chavanne, procédant à la restauration de sa maison, avait acheté en 1979 un lot de tuiles à la société Lambert. Il subit par la suite un sinistre dû à un défaut de fabrication des tuiles. Ce défaut fut constaté dans un rapport d’expertise le 20 octobre 1986. M. Chavanne assigna la société Lambert au fond le 14 avril 1988, en invoquant l’absence de conformité des tuiles à ce qui était prévu dans le contrat. Les juges du fond firent droit à sa demande ; la société Lambert fit appel de la décision. La Cour d’appel infirma la décision des premiers juges, en établissant que les défectuosités invoquées constituaient un vice caché et non pas une non-conformité du matériau vendu, et que M. Chavanne n’avait pas agi dans le « bref délai » imposé par l’article 1648 du Code civil pour l’action en garantie des vices cachés. Un pourvoi fut formé devant la Cour de cassation.
M. Chavanne soutint trois arguments devant la Première chambre civile. Premièrement, selon lui, une chose atteinte d’un vice caché ne peut être conforme à ce qui était contractuellement prévu. Il s’agirait de ce fait d’un défaut de conformité des tuiles, qui lui permettrait d’agir sur ce fondement en s’exonérant de l’application de l’article 1648. Deuxièmement, celui qui achète une chose impropre à l’usage pour lequel il en a fait l’acquisition, c’est-à-dire une chose affectée d’un vice caché, commet une erreur. M. Chavanne devait donc pouvoir prétendre à l’octroi de dommages-intérêts sur le fondement de l’erreur. Troisièmement, la Cour d’appel aurait fait une fausse application de l’article 1648 en omettant de préciser pourquoi elle avait estimé tardive l’action en garantie des vices cachés. La question était donc posée de savoir si la garantie des vices cachés était conciliable avec le défaut de conformité d’une part, et avec l’erreur en tant que vice du consentement d’autre part.
La Première chambre civile rejeta les trois arguments. Elle estima, conformément à sa jurisprudence antérieure, que les actions en garantie des vices cachés et en défaut de conformité avaient des fondements différents et ne pouvaient pas être assimilées l’une à l’autre, et que l’impropriété des tuiles résultant d’un vice caché et non d’un défaut de conformité, M. Chavanne ne pouvait exercer d’action en défaut de conformité. La Cour décida en outre que l’action en garantie des vices cachés était exclusive de toute action en nullité pour erreur. Finalement, elle confirma que l’estimation de l’opportunité du délai de l’article 1648 était laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond.
La nature exclusive de la garantie des vices cachés est donc clairement consacrée par l’arrêt étudié : le vice caché n’est pas un défaut de conformité, les actions issues de ces deux fondements ne sont pas conciliables (I) ; et ce n’est pas non plus une erreur, l’action en garantie des vices cachés étant exclusive de l’action en nullité pour erreur (II).
I. La distinction entre le défaut de conformité et la garantie des vices cachés
La distinction entre le défaut de conformité et la garantie des vices cachés semblait définitivement établie par l’arrêt étudié, qui confirme la jurisprudence antérieure (A) ; mais cette solution n’est plus valable dans le cadre des contrats de vente de biens meubles corporels entre un professionnel et un consommateur, depuis la transposition en droit interne de la directive communautaire du 25 mai 1999 (B).
A. Une distinction qui semble définitivement établie
La distinction entre l’action pour défaut de conformité et l’action en garantie des vices cachés peut paraître de prime abord assez évidente. En effet, le vendeur supporte aux termes de l’article 1603 deux obligations principales, de délivrer la chose et d’en garantir la jouissance pacifique. Le défaut de conformité a trait à la première obligation, puisque si la chose livrée n’est pas conforme à celle sur laquelle les parties s’étaient mises d’accord, la délivrance est défectueuse, et le vendeur est fautif. La garantie des vices cachés survient quant à elle après la livraison du bien, s’il apparaît que celui-ci comporte un défaut qui rend son utilisation normale impossible ((art. 1641 CC)). Une des conditions de la mise en œuvre de la garantie des vices cachés est à ce titre que le vice ne soit pas apparent, car s’il l’était l’acquéreur serait présumé l’avoir accepté ; le vice ne peut donc pas se révéler au premier regard, et une période d’utilisation du bien est nécessaire pour qu’il apparaisse.
Mais si l’on considère que la délivrance doit être « conforme », la distinction entre défaut de conformité et vice caché devient bien plus ténue. La première Chambre civile a ainsi estimé que « l’obligation de délivrance ne consiste pas seulement à livrer ce qui a été convenu, mais à mettre à la disposition de l’acquéreur une chose qui corresponde en tous points au but recherché ». Ainsi, il n’est plus question d’une conformité à ce qui avait été commandé, mais d’une conformité à l’utilisation prévue. Il est évident que, dans cette optique, un vice caché rendant par définition impossible l’utilisation normale de la chose, tout vice caché engendre un défaut de conformité. Nier cela reviendrait à dire que l’acheteur est supposé considérer conforme à ses désirs une chose qu’il ne peut pas utiliser pour remplir l’objectif qu’il s’est fixé ! Mais le champ matériel du défaut de conformité ainsi étendu, son domaine d’application temporel s’en trouve corrélativement rallongé. Le raisonnement demeure le même : pour déterminer si une chose convient à l’usage qu’il est prévu d’en faire, il faut en faire usage. Le défaut de conformité trouve donc sa place, non seulement au moment de la délivrance, mais également postérieurement, lors des premières utilisations de la chose ; il s’agit là du domaine habituellement réservé à la garantie des vices cachés. De l’avis de la doctrine majoritaire, il s’agirait là de la véritable justification de la jurisprudence de la première Chambre civile : en admettant l’action en défaut de conformité sur un fondement qui serait normalement celui de l’action en garantie des vices cachés, le demandeur n’est plus soumis au « bref délai » prévu par l’article 1648 pour la mise en œuvre de cette dernière action.
Finalement, la frontière entre le défaut de conformité et la garantie des vices cachés fut clairement rétablie par la première Chambre civile dans un arrêt de cassation du 5 mai 1993 (( Cass. Civ. 1, 5 mai 1993 : L’acquéreur reçoit en livraison des planches de bois d’une dimension différente de celle prévue par le contrat qui prévoyait que les réclamations concernant la qualité de la marchandise devaient être faites dans un délai de 8 jours ; la Cour d’appel rejette la demande, le délai étant écoulé. La première Chambre civile casse l’arrêt d’appel : « Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que M. Pascual contestait non pas la qualité de la marchandise vendue mais la conformité de celle-ci à la commande, la cour d’appel a fait une fausse application du contrat et a violé [l’article 1134 du Code civil] »)). L’arrêt étudié reprend et confirme cette dernière solution. En l’espèce le demandeur, M. Chavanne, soutenait dans le premier argument de son pourvoi que le vendeur est tenu de transférer la propriété d’une chose conforme aux stipulations contractuelles et « qu’une chose atteinte d’un vice au sens de l’article 1641 du Code civil ne saurait être conforme à l’objet commandé ». Ce à quoi la Cour de cassation répond simplement que la Cour d’appel ayant constaté que le problème portait sur un vieillissement anormal des tuiles, elle pouvait à bon droit en déduire que « cette impropriété résulte non pas de ce que les produits vendus sont différents de ceux objets de la commande, mais de ce qu’ils sont affectés d’un vice ». Plus aucun doute ne peut subsister : le défaut de conformité ne sanctionne que la différence entre la chose commandée et la chose livrée, peut important que celle-ci soit affectée ou non d’un vice ; la garantie des vices cachés sanctionne l’existence d’un « défaut rendant la chose impropre à son usage », peut important que les caractéristiques de la chose qui auraient été les siennes en l’absence du défaut soient conformes à celles prévues dans le contrat.
La distinction entre le défaut de conformité et la garantie des vices cachés a cependant été en partie remise en cause par la directive communautaire du 25 mai 1999 et par sa transposition en droit interne.
B. Une solution remise en cause en droit de la consommation
Contrairement au droit français, la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises ne définit qu’une seule obligation réunissant la garantie des vices cachés et l’exigence de conformité. L’obligation, définie à l’article 35, 1° de la Convention, impose de « livrer des marchandises dont la quantité, la qualité et le type répondent à ceux qui ont été prévus au contrat » ; la garantie des vices cachés consistant en ce que ces marchandises doivent être « propres aux usages auxquels serviraient habituellement des marchandises du même types » et « propres à tout usage spécial qui a été porté expressément ou tacitement à la connaissance du vendeur au moment de la conclusion du contrat » ((art. 35, 2°, a et b)).
La directive communautaire du 25 mai 1999 est construite sur le même modèle, une seule obligation de délivrer un bien conforme aux stipulations du contrat et pouvant être utilisé comme convenu entre les parties. Ainsi, l’article 2, 1 établit que « le vendeur est tenu de livrer au consommateur un bien conforme au contrat de vente » et l’article 2, 2, c que le bien est réputé conforme au contrat « s’il est propre aux usages auxquels servent habituellement les biens du même type ». En outre, l’article 5 soumet l’action « globale » en garantie et en conformité à un délai minimum de 2 ans à compter de la délivrance du bien ; ce même délai qui est nécessaire, selon le raisonnement déjà suivi, pour que l’acquéreur puisse évaluer la conformité du bien « à l’usage » avec ce qu’il avait prévu.
Une telle fusion de deux obligations historiquement distinctes en droit français comporte des avantages et des inconvénients.
L’avantage principal est la facilité de mise en œuvre de l’action « globale » que recherchait le législateur communautaire ((voir l’exposé des motifs de la directive)). L’acquéreur échappe en effet au jeu pernicieux des prescriptions, l’action étant soumise à un délai unique de deux ans. Dans l’arrêt étudié, le demandeur n’avait pas agi dans le « bref délai » prévu par l’article 1648 du Code civil, ce qui l’avait forclos et lui avait irrémédiablement fermé les portes de l’action en garantie des vices cachés. Il ne pouvait pas non plus exercer l’action en défaut de conformité, puisqu’un tel défaut, même s’il avait existé, n’aurait certainement pas pu être constaté plusieurs années après la livraison, un usage prolongé de la chose pouvant aisément être conçu comme un acquiescement tacite de l’acquéreur sur la conformité. Dans un tel contexte, le délai unique de deux ans est garant de sécurité juridique, tant pour l’acquéreur qui n’est pas soumis à l’aléa de l’appréciation souveraine des juges du fond du « bref délai » que pour le vendeur -ou le fabricant dans une chaîne de contrat- qui sait exactement pendant combien de temps sa responsabilité peut être engagée. En l’espèce, si les faits avaient eu lieu postérieurement à la transposition de la directive en droit interne, M. Chavanne n’aurait pas été forclos, celui-ci ayant agi dans un délai inférieur à deux ans.
Mais la fusion des actions, en garantie des vices cachés et en conformité, présente aussi des inconvénients. D’une part, l’action en garantie des vices cachés nécessite l’existence d’un préjudice ((Cass. Civ. 1, 13 oct. 1993, Sté Bouchonnerie Gabriel)), ce qui n’est pas le cas de l’action en conformité qui se base sur le simple constat du défaut de conformité. Or, s’il paraît équitable d’imposer au vendeur de remplir pleinement ses obligations en délivrant une chose conforme, il est moins évident de lui faire supporter les conséquences d’une action en garantie des vices cachés, alors qu’il ne pouvait connaître l’existence de ces vices par définition occultes et alors que l’acquéreur n’a subi aucun préjudice. D’autre part, il est constant que la réception sans réserve par l’acquéreur exonère le vendeur de responsabilité quant aux défaut de conformité apparents, alors qu’il reste tenu de la garantie des vices cachés jusqu’à l’expiration du délai prévu à cet effet.
La portée de la réunion des deux garanties, de conformité et des vices cachés, en une seule action est cependant limitée par la transposition a minima de la directive du 25 mai 1999. L’avant-projet de loi « Viney » qui avait pour ambition de réformer tout le droit de la vente fut abandonné et, finalement, le champ matériel de la réforme se limite aux seules ventes de biens meubles corporels entre un professionnel et un consommateur. La transposition de la directive, par une ordonnance du 17 février 2005, se borne donc à insérer dans le Code de la consommation les nouveaux articles L. 211-1 à L. 211-18.
Même si l’obligation de conformité et la garantie des vices cachés sont assimilés dans les contrats relevant du domaine d’application des articles L. 211-1 à L. 211-18, il n’en demeure pas moins que la solution de l’arrêt étudié conserve sa force en ce qu’elle établit que l’action en garantie des vices cachés est exclusive de l’action en nullité du contrat pour vice du consentement.
II. L’action en garantie des vices cachés exclusive de l’action en nullité pour erreur
L’action en nullité du contrat pour erreur porte sur la phase de formation du contrat, alors que la garantie des vices cachés a trait à la responsabilité contractuelle ; la différences des fondements exclut que les deux actions soient conciliables et simultanément ouvertes à l’acquéreur (A), ce qui est dans certains cas critiquable (B).
A. Deux actions inconciliables dans leurs fondements
La distinction entre l’action en garantie des vices cachés et l’action en nullité pour erreur semble a priori assez nette. L’acquéreur est garanti des vices cachés sur le bien acheté alors qu’il n’a commis aucune erreur sur l’identité ((erreur in corpore ou erreur obstacle, conçue comme une absence de consentement et sanctionnée par la nullité absolue du contrat)) ou sur la substance de la chose ((art. 1110 al 1 ; erreur sanctionnée sous quatre conditions cumulatives : erreur sur la substance du bien, erreur déterminante de la volonté des parties, erreur excusable, absence d’acceptation du risque ; alors que le vice caché affecte la chose de quelque manière que celle-ci soit perçue par les parties.)) ; à l’inverse, s’il a commis une erreur, son consentement est vicié ou absent, indépendamment de tout vice de la chose. Mais la distinction devient beaucoup plus difficile et incertaine lorsque l’usage attendu de la chose est pris en considération. En effet, l’acquisition d’un objet n’est pas une fin en soi : on acquiert un objet pour l’utiliser. Or, si cet objet est atteint d’un vice caché, son utilisation normale est par définition perturbée voire impossible. L’acquéreur commet de ce point de vue une erreur, puisqu’il ne peut raisonnablement consentir à acheter un objet qu’il ne pourrait pas utiliser conformément à ses prévisions.
Dans l’arrêt étudié, le second argument du pourvoi de M. Chavanne est qu’il aurait commis une erreur en achetant des tuiles qui ne correspondaient pas à l’usage auquel il les destinait. C’est sur une jurisprudence de la Cour de cassation récente à l’époque de l’arrêt étudié qu’il se base, en vertu de laquelle « l’existence d’un vice caché n’exclut pas par elle-même l’exercice d’une action en nullité pour erreur sur la qualité substantielle de la chose vendue » ((Cass. Civ. 3, 18 mai 1988 ; Cass. Civ. 1, 28 juin 1988 ; D. 1989, jur. p. 450, note Lapoyade Deschamps et D. 1989, Somm. p. 229, obs. Aubert)). Mais la première Chambre civile, décidée à opérer un revirement de sa jurisprudence, déclare que « la garantie des vices cachés constituant l’unique fondement possible de l’action exercée, la cour d’appel n’avait pas à rechercher si M. Chavanne pouvait prétendre à des dommages-intérêts sur celui de l’erreur ». Certains ont pu soutenir que la Cour de cassation refusait d’admettre la possibilité d’une action en nullité pour vice du consentement parce que l’acquéreur demandait l’octroi de dommages-intérêts, et que l’existence d’une erreur viciant le consentement n’est qu’une cause de nullité du contrat exclusive de toute indemnisation. Mais cette interprétation doit être exclue depuis un arrêt de la troisième Chambre civile du 7 juin 2000 ((Civ. 3e 7 juin 2000, « Mme Hammoun C/ M. Fenouillas », GAJC ed. 11, n°253-254 : « la garantie des vices cachés constituant l’unique fondement de l’action exercée pour défaut de la chose vendue la rendant impropre à sa destination normale d’habitation, la responsabilité du vendeur ne pouvait être recherchée sur le fondement de l’erreur »)), qui retient la même solution en l’absence de demande d’allocation de dommages-intérêts.
Une partie de la doctrine ((O. Tournafond, D. 1997, Somm. p. 345)) critiquait vivement la jurisprudence passée et attendait un tel revirement. La première critique de l’assimilation du vice caché à l’erreur est la fusion des actions en nullité pour erreur et en garantie des vices cachés qui a pour effet d’occulter la règle de l’article 1648 du Code civil. Le « bref délai » jadis prévu et aujourd’hui remplacé par un délai de deux ans ((Art. 3 du Titre II de l’ordonnance du 17 février 2005 de transposition de la directive communautaire du 25 mai 1999)) devenait inefficace du fait de la possibilité qui était laissée à l’acquéreur d’agir sur le fondement de l’erreur, une telle action prescrivant par cinq ans ((art. 1304 C.c. ; sauf en cas d’exception d’inexécution, qui ne prescrit pas)). Plus grave encore, l’action en nullité devenait une sanction de l’inexécution du contrat, alors qu’elle n’est censée sanctionner que le vice dans sa formation, et que le Code civil prévoit expressément que la force obligatoire du contrat est sanctionnée par la responsabilité contractuelle.
La solution retenue par la première Chambre civile peut également s’expliquer par l’application de l’adage specialia generalibus derogant. Selon ce principe, lorsque deux règles de droit sont applicables à une situation, l’une générale et l’autre spéciale, c’est cette dernière qui doit prévaloir. Ainsi, la sanction des vices du consentement relève du droit général des contrats et doit s’effacer devant la garantie des vices cachés qui appartient au droit spécial de la vente. L’application systématique de ce principe fut dénoncée par la doctrine, et notamment par le doyen Carbonnier, qui soutenait que si le législateur avait prévu deux moyens d’actions au profit du demandeur, il était légitime de lui offrir la liberté de choisir l’un ou l’autre. Mais l’on pourrait objecter que le droit spécial étant en soi plus protecteur que le droit général, qui ne prévoit pas de sanction des vices cachés, le législateur a entendu encadrer précisément ses conditions de mise en œuvre ; admettre le cumul des action reviendrait dans ce cas à instaurer un système excessivement protecteur de l’acquéreur et générateur d’insécurité juridique pour le vendeur que n’a pas voulu le législateur ((C’est d’ailleurs ce même raisonnement qui a été suivi par le Bundesgerichtshof (Cour Fédérale d’Allemagne), en droit international privé, pour décider des interactions entre l’article 5 et l’article 7 de la Convention de Rome du 19 juin 1980)). C’est bien sur ce terrain qu’il convient d’interpréter une éventuelle application de l’adage specialia generalibus derogant, car ce principe ne peut être normalement mis en œuvre que lorsque deux règles entrent en conflit, ce qui est exclu en l’espèce puisque la nullité pour vice du consentement et la garantie des vices cachés trouvent leur place dans les deux domaines différents de la formation et de l’exécution du contrat.
Malgré toutes ces raisons, il est certains cas dans lesquels il paraît nécessaire de laisser la porte ouverte à l’action en nullité pour vice du consentement alors que le bien est affecté d’un vice caché.
B. Une exclusivité qui n’est pas forcément souhaitable
Si les arguments en faveur de la l’exclusivité de l’action en garantie des vices cachés sont importants et nombreux, il n’en demeure pas moins que, dans certains cas, il reste souhaitable de permettre l’exercice d’une action en nullité de la vente pour vice du consentement alors même qu’il existe un vice caché affectant la chose vendue.
C’est le cas notamment lorsque le vice du consentement porte sur la nature ou l’intensité du vice caché. Le vendeur et l’acheteur se mettent d’accord pour conclure un contrat de vente portant sur un objet affecté d’un vice, mais il s’avère par la suite que l’acheteur, conscient de l’existence du vice, n’en avait pas saisi les implications. Par exemple, dans le domaine de la vente de matériel microinformatique, il est fréquent que soient vendus des produits reconditionnés (« refurb »), à moindre prix car affectés d’un vice qui en réduit les possibilités d’utilisation, sans pour autant rendre le matériel impossible à utiliser. Imaginons un graphiste qui achète un ordinateur portable dans le but de brancher un écran externe de grandes dimensions, et un étudiant qui achète le même modèle d’ordinateur dans le but de se connecter à Internet sans fil dans les cafés parisiens. Pour le premier, un vice affectant le port sur lequel doit être branché l’écran externe serait déterminant, alors qu’un vice affectant la connexion sans fil ne revêt aucune importante ; à l’inverse, pour le second, le vice de la connexion sans fil est déterminant alors que le vice du port pour écran externe n’a pas d’importance. Dans de tels cas, lorsque l’acquéreur n’a pas précisé l’usage spécial qu’il comptait faire de la chose, il est tout à fait concevable qu’il agisse en nullité de la vente, pour vice du consentement, car il a commis une erreur sur les qualités substantielle de la chose, déterminantes de son consentement. Aussi, la solution de l’arrêt étudié, qui exclut l’action en nullité de la vente, apparaît trop catégorique. Comme l’explique O. Tournafond ((note, D. 1997, Somm. p. 345)), l’exclusion de l’action en nullité pour erreur ne doit être déclarée, au nom du principe specialia generalibus derogant, qu’après avoir vérifié que les consentements se sont bien rencontrés.
De nombreuses tentatives doctrinales ont été faites dans le sens de la distinction des deux actions. Certains auteurs proposent ainsi d’exclure de la définition des qualités substantielles de la chose la considération de son utilité, celle-ci devenant la caractéristique de la garantie des vices cachés. D’autres ont proposé de faire dépendre la protection de l’acquéreur de la gravité du vice, le vice caché serait ainsi celui qui réduit l’utilité ou la valeur de la chose, sans pour autant la dénaturer. Enfin, une partie de la doctrine est favorable au critère fonctionnel, selon lequel l’action en garantie des vices cachés serait ouverte non en raison de l’erreur qui a vicié le consentement, mais en raison de celle qui a vicié l’acceptation de la chose livrée.