Il est des sigles tristement célèbres qui passeront à la postérité pour avoir affaibli un peu plus notre fragile démocratie. Après la scélérate loi DADVSI, passée presque inaperçue dans la tourmente CPE (Contrat Première Embauche), celui qui est bien connu comme «RDDV» entreprend d’instaurer une censure d’Internet. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture du gouvernement Villepin, précise les contours de son nouveau projet, après avoir finalement réussi à faire passer la loi relative aux Droit d’Auteur et aux Droits Voisins dans la Société de l’Information, et l’on ne peut que constater que les deux projets présentent des ressemblances inquiétantes quant à leur véritable finalité.
La loi DADVSI instaure les DRM («Digital Rights Management systems») parmi d’autres mesures qui ne tendent au final qu’à une seule chose: renforcer le pouvoir déjà écrasant des majors de l’industrie musicale et cinématographique. Il était soutenu par le gouvernement que la loi sur les droits d’auteurs devait protéger les artistes. Mais cela n’échappe à personne: la précédente loi présentait des avancées considérables dans ce domaine, sans pour autant rompre l’équilibre liberté/sécurité entre les vendeurs et les consommateurs, et il n’était pas nécessaire de la bouleverser à ce point, même pour la transposition de la directive EUCD. Non, le véritable motif s’inscrit dans la droite ligne de la politique du gouvernement et de «RDDV», la consécration et l’achèvement du pouvoir des puissants dans notre régime plutocratique.
La censure des blogs répond à la même logique, à deux branches. Il s’agit, dans un premier temps, de mettre en avant la presse commerciale, dans un but purement économique. Dans un second temps, sur un plus long terme, le contrôle des esprits par le «politiquement correct» n’en sera que plus facile.
Pour censurer internet, il n’y a que deux solutions efficaces. La première est celle qu’a choisie la Chine: bloquer matériellement l’accès à tous les sites dissidents, et empêcher la publication sur les sites accessibles de tout contenu allant à l’encontre de la politique du régime actuel. La seconde est moins directe, plus pernicieuse, mais tout aussi efficace. Il s’agit de privilégier un certain contenu, au détriment du reste. Ainsi, si le parti X est au pouvoir, il peut faire en sorte que les 50 premières pages de résultats retournés par Google lorsqu’on l’interroge sur le mot «politique» n’affichent que des sites qui lui sont favorables, et que le parti Y soit relégué en page 72. Concrètement, qui a l’habitude de lire plus de 3 ou 4 pages de résultats ? Personne. Les sites sombrent dans le néant et l’oubli dès la 5ème page.
Et c’est bien vers cette dernière solution que tend le projet du ministre. Il est ainsi prévu de donner une certification aux journalistes titulaire d’une carte de presse (voire d’une carte de l’UMP), réputés auteurs fiables (CQFD). Les auteurs de «sites perso» et de blogs seraient mis à l’écart. Et pourtant, le véritable internet est celui des sites personnels, conformément à ses origines, et non pas l’internet commercial, inintéressant et intéressé, qu’il est en train de devenir (voir à ce propos: «Internet sur la mauvaise pente»).
Ratiatum l’explique, il s’agit là d’une riposte du gouvernement au «Non» au référendum sur la Constitution européenne. A l’occasion des débats médiatiques qui avaient précédé le vote, il était devenu clair que les médias conventionnels (presse écrite, télévision, radio) étaient très largement favorables au «Oui», alors que les blogs affichaient un «Non» plutot massif. Les blogs auraient ainsi eu une influence néfaste sur le vote (puisque, bien entendu, il fallait voter oui - sic), et il faut les censurer pour que cela ne se reproduise pas. Le gouvernement se trompe. Les blogs n’ont pas eu cette influence, bien au contraire, car ils ne sont que le reflet d’idées préexistantes. Et c’est ce qui fait leur force et leur différence: là où les médias conventionnels tentent de nous «laver le cerveau» en nous imposant comme au temps du paternalisme ce qu’il est bon pour nous de penser, les blogs n’imposent rien, il ne font que refléter des tendance qui ne naissent pas dans le monde virtuel mais dans «la vie réelle».
Nous devons nous lever contre ce projet de censure d’internet, car la censure s’inscrit dans le cercle vicieux du totalitarisme. Censurer pour instaurer un courant de pensée unique, censurer pour éviter toute déviation de ce courant. A l’heure actuelle, on peut citer cinq pays qui censurent activement internet: la Chine, la Thaïlande, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, la Tunisie. Voulons-nous vraiment que la France rentre dans cette liste ? Non… alors il faut faire barrage aux prétentions du gouvernement. Dépourvus de garantie constitutionnelle telle que le 1er Amendement à la Constitution des Etats-Unis, nous devons réagir et protester pendant qu’il en est encore temps.