La France vient de rejeter la Constitution européenne. La question était de savoir si nous voulions autoriser le Parlement à ratifier le traité portant constitution pour l’europe, la réponse fut ‘non’ à 54,87%. Le référendum sur la constitution européenne fut l’objet d’un long et très complexe débat quant aux deux votes possibles, son résultat fera sans doute longtemps l’objet de discussions. Je ne prétends pas faire une analyse politique exhaustive de quoi que ce soit, je veux juste écrire ici mes impressions du moment, en souvenir de ce résultat historique pour le meilleur et pour le pire.
Longtemps avant
D’abord, j’ai pris connaissance des articles les plus polémiques. J’ai vu certaines choses qui ne me plaisaient pas, alors j’ai décidé que j’allais voter ‘non’.
Il y avait notamment la règle de l’unanimité imposée pour toute réformation du texte constitutionnel, et l’effet pervers de paralysie du système entier que cela entraînerait si un pays se couchait devant les américains ou une autre puissance étrangère à l’Union.
Il y avait aussi la constitutionnalisation de principes qui relèvent normalement et doivent normalement relever de la loi: les principes économiques. Les droits de l’Homme et les libertés fondamentales sont des principes immuables, imprescriptibles et inaliénables, mais les règles économiques ne sont que le reflet d’un mode de gestion social. Une constitution instaure un système politique et social, ou du moins elle en pose les bases. Elle contient à ce titre des principes généraux d’ordre moral. Mais elle ne peut pas entrer dans le détail de la vie au quotidien en fixant des règles trop précises, ou dans des domaines d’importance réduite tels que l’économie. Cela fera sûrement bondir bon nombre de lecteurs de lire cela, mais qu’est-ce qui est le plus important, l’économie ou les droits de l’Homme ? Cette analyse peut paraître simpliste si l’on considère, à juste titre, que l’économie et le social sont intrinsèquement liés et que l’un a des influences sur l’autre. Cependant, il ne s’agit pas d’un contre-argument puisque il aurait justement été préférable de constitutionnaliser les libertés fondamentales en laissant les matières économiques au domaine de la loi, de manière à ce que celle-ci s’appliquent sans pouvoir entraver l’exercice de celles-là.
Il y avait également la remise en cause du principe de laïcité, exclusivité française. Laïcité ne signifie pas aconfessionnalité. L’Etat français est laïc car il ne reconnaît aucune religion, il ignore même leur existence. D’autre Etats reconnaissent l’existence des religions, mais n’en érigent aucune en religion officielle d’Etat. D’autres Etats reconnaissent une religion comme religion officielle, sans que cela ne puisse impliquer la discrimination des autres religions. Je suis attaché au principe français que je considère comme l’une des bases de notre système.
Et puis il y avait la répartition des pouvoirs au sein de cette Constitution. Un pouvoir législatif fortement limité, un pouvoir exécutif tricéphale, un pouvoir juridictionnel soumis au libéralisme comme le marque très clairement la jurisprudence récurrente de la Cour de Justice des Communautées Européennes, et un pouvoir économique autonome incarné par la Banque européenne. La politique est menée par la Commission et la Banque européenne, sans réel contrôle juridictionnel et législatif.
Pour toutes ces raisons et pour bien d’autres encore, j’étais prêt à voter ‘non’. Mon analyse était purement juridique, basée sur le texte constitutionnel. Et puis mon analyse est devenue sociale, morale et historique, et j’ai changé d’avis.
Juste avant
J’ai changé d’avis avant le référendum, en suivant les débats durant mars, avril et mai 2005. Ma préférence finale est donc allée dans la direction du ‘oui’.
Je me suis d’abord rendu compte que le ‘oui’ était le sens de l’Histoire: la construction européenne en marche depuis 50 ans devait bien finir par déboucher un jour ou l’autre sur des institutions concrètes. Une Constitution pour ordonner le fonctionnement complexe de l’Union était nécessaire.
Et cette constitution était bonne. Le Titre 3 consacrait les principes du libéralisme, et c’est en partie pour cela qu’elle fut rejetée par les français; mais les Titres 1 et 2 étaient de véritables déclarations de droits et de garanties des citoyens, au delà de ce que prévoient les constitutions nationales.
On ne peut pas rejeter un texte parce qu’il pourrait être mieux. On ne rejette un texte que parce qu’il est mauvais, ce qui n’était manifestement pas le cas de celui-là.
Mais les français n’en ont quand même pas voulu, ils ont massivement voté ‘non’.
Pendant
A 22h00, TF1 a affiché un ‘non’ à 54,5%. Du dégoût, c’est ce que cela inspire. De la honte aussi. On n’a plus vraiment envie d’être français quand on voit nos concitoyens s’exprimer à la télé, tout fiers de défendre leur ‘non au gouvernement’. Il se sont trompés de questions, et ils se sont trompés de réponse.
Avant que mon ‘non’ devienne un ‘oui’, il n’a jamais été souverainiste, nationaliste, fasciste, communiste, extrémiste, ni tout ce qui finit en -iste. Il n’était pas non plus dirigé à sanctionner le gouvernement en place. Et dieu sait que ce gouvernement je ne l’ai pas voulu. Les gens, eux, ils l’ont majoritairement voulu. Alors pourquoi ne pas assumer aujourd’hui ce choix ?
Juste après
Les ‘non’ sont très variés.
Il y a des ‘non’ nationalistes et souverainistes. Ceux là, qui se situent politiquement juste à droite de Genghis Khan, représentent le pire aspect de notre pays. Pour partager ces idées, il ne faut pas aimer la France, il faut détester toute ce qui n’est pas la France. Je n’en parlerai pas plus ici, je préfère ne pas leur faire de publicité.
Il y a des ‘non’ de sanction directe du gouvernement. Les gens qui disent avoir voté non, selon les sondages CSA parus le soir du 29, à cause du chômage, à cause d’un "ras-le-bol général", ou à cause de ne je sais quoi encore. Ceux-là sont tout simplement des imbéciles et des irresponsables. Certains sont même carrément malhonnêtes intellectuellement. Car la question portait sur l’europe, pas sur les problèmes nationaux. Alors, répondre ‘non’ pour sanctionner le gouvernement, parce qu’il s’était engagé pour le ‘oui’ est un beau hors-sujet. Et les hors-sujet, ne méritant jamais la moyenne, sont systématiquement lourdement sanctionnés.
Il y a des ‘non’ sociaux et anti-libéraux. Parce que la Constitution contenait trop de préceptes économiques, et se dirigeait vers l’ultra-libéralisme, il fallait voter ‘non’. Pour la sauvegarde de notre droit social sous tous ses aspects (sécurité sociale, droit du travail, etc.), il fallait voter ‘non’. Cette position se comprend et se défend. Elle est cependant un peu naïve dès lors qu’elle constitue un rejet en bloc du libéralisme qui, sans constituer le premier fondement de notre système, n’en est pas moins l’un des piliers. Le libéralisme ne peut plus, à notre époque, être rejeté en bloc, il doit être concilié avec la sauvegarde des avantages sociaux.
Il y a des ‘non’ qui sanctionnent l’abandon forcé par cette Constitution de l’idée d’une europe fédérale. Ces ‘non’ là sont ultra-européens, et ils sont également légitimes. Cependant, il se confondent avec les autres ‘non’, et au final, ils aboutissent sur le rejet d’un progrès modéré au nom de l’exigence d’un progrès plus important. Ce ‘non’ est sans doute le plus contre-productif de tous les ‘non’ en présence. Dommage, l’idée n’était pas inintéressante.
Il y a enfin des ‘non’ qui sanctionnent le système dans son ensemble. Des ‘non’ qui signifient que la politique européenne (Commission Barroso et autres directive Bolkenstein) sur laquelle est directement alignée la politique intérieure française depuis quelques années et rejetée en bloc. Ces ‘non’ estiment que les politiques menées par les gouvernements européens, et entre eux le gouvernement français, débouchent sur la politique européenne, que cette politique est ultra-libérale, qu’elle détruit les acquis sociaux, et qu’elle doit par conséquent être censurée. C’est certainement la position la plus réaliste.
Longtemps après
La dernière raison évoquée dans le camp du ‘non’ est significative d’un malaise français. L’échec des politiques de gauche comme de droite depuis quelques années engendrent un ras-le-bol généralisé qui se manifeste tant au niveau national qu’au niveau européen.
Le gouvernement Raffarin, qui avait résisté à tout jusqu’à présent, a présenté sa démission hier soir. Villepin a été nommé Premier ministre ce matin. Désolé, mais cela ne changera rien, le décideur reste Chirac, le premier ministre n’est qu’un exécutant. Chirac n’a jamais été capable de changer, ce n’est pas maintenant qu’il le fera. Il a toujours été aussi malhonnête en faisant la sourde-oreille au peuple tout en lui promettant monts et merveilles en période électorale, qu’un changement radical dans sa politique n’est aujourd’hui qu’une chimère de plus.
Chirac a voulu faire exploser la gauche en demandant son avis au peuple. Il a réussi. Les discensions au sein du PS l’ont irrémédiablement fissuré, et cette fissure, une de plus depuis la défaite de Jospin aux présidentielles de 2002, menace de faire s’effondrer tout l’édifice. La gauche française ne s’en relèvera pas si facilement. Les partis d’extrême gauche croient y avoir gagné, ce n’est à mon sens qu’une illusion. La France est à droite, depuis toujours. Les votes des français sont, depuis quelques années, systématiquement des votes de sanction. En 2002 contre Jospin, en 2005 contre la Constitution européenne. Les extrêmes montent par contradiction avec la politique menée par les modérés, pas par conviction.
Chirac aurait dû démissionner. S’il avait été gaulliste, ne serait-ce qu’un instant, il l’aurait fait comme l’a fait de Gaulle en 1969 après le ‘non’ au référendum sur la régionalisation et la réformation su Sénat. Mais Chirac se maintient, envers et contre tout. Chirac est un bloc de marbre, une montagne, qui même désavoué par le peuple ne bouge pas.
NB: avant d’avoir mis le point final à cet article, je me suis interrompu pour écouter la déclaration de Chirac, à 20H. Il ressort que le nouveau gouvernement est composé des 2 piliers du précédent: Villepin et Sarkozy. Quand je vous le dis que Chirac, quand il parle de changement, ne conçoit cela que comme de belles paroles. Ce n’est définitivement pas une question d’hommes, c’est une question de politiques.
La France se trouve donc dans une situation politique très grave, qui ne passera qu’avec le temps. Que ce soit la gauche ou la droite au pouvoir, la politique du gouvernement est systématiquement sanctionnée. Et les extrêmes ne peuvent offrir aucune solution satisfaisante. Il faudra donc, comme l’a dit Sarkozy, de profonds changements. Et ces changements doivent être rapides. Mais ces changements ne peuvent pas passer par lui, car ce qu’il propose n’est rien d’autre que la politique de Chirac, l’aspect libéral étant remplacé par un aspect ultra-libéral à l’anglo-saxonne. La solution ne vient pas des Barons de l’UMP qui se trompent totalement, car comme l’ont signalé Douste-Blasy, ou Donnedieu de Vabres dans ses nombreuses et pitoyables interventions marquant une totale incompréhension de la situation, la politique de droite est la politique de droite, et elle ne changera pas. Si la solution qu’ils proposent est d’accentuer encore leur réformes destructrices de notre système social en massacrant la Sécu après avoir massacré les retraites, ils ont tout faux. La solution ne vient pas non plus des Eléphants du PS, comme Hollande qui confond allègrement (sans jeu de mots) militant du PS et électeur de gauche, car si les militants étaient à 59% pour le ‘oui’, les électeurs du PS, eux, ont voté à 59% pour le ‘non’.
Quant aux autres pays d’Europe, je ne puis en parler longuement car je ne les connais pas suffisamment. Cependant, j’aimerais exprimer deux idées. La première est que la France est, jusqu’à présent, le seul pays à avoir organisé une consultation du peuple souverain sur la ratification de la Constitution européenne, le référendum espagnol n’étant que purement indicatif. La France est le seul pays dans lequel a eu lieu, pour l’instant, un vrai débat démocratique. La seconde idée découle de la première: si des débats contradictoires avaient été organisés dans les autres pays d’europe, peut être les populations auraient mieux compris la position française actuelle. Dans tous les cas, les autres européens ne doivent jamais perdre de vue que ce ‘non’ n’est pas anti-européen.
Il y a donc en ce moment une tendance généralisée au rejet des politiques, de gauche comme de droite, menées par les gouvernements successifs et par les instances dirigeants européennes. La solution passera sûrement par des hommes politiques forts qui oseront mettre en oeuvre un "je vous ai compris" (sans apologie du gaullisme, bien entendu). En ce sens, le ‘non’ français peut soit nous isoler au sein de l’europe, et aggraver la crise, soit permettre de mettre les choses au point, la goutte d’eau ayant fait déborder le vase, pour repartir sur des bases plein saines.
Dans tous les cas, la solution idéale aurait été un référendum unique, général, dans tous les pays d’europe le même jour, avec la même question, et aux résultats fusionnés pour déterminer le résultat final.
à Paris le 31/05/2005