Lors de la conclusion d’un contrat du commerce international, les parties peuvent décider qu’un éventuel différend né entre elles à l’occasion de l’exécution de ce contrat sera tranché par un tribunal arbitral. Un tribunal arbitral, qui n’est pas une juridiction étatique, est investi par les parties et tire sa légitimité de l’expression de leur volonté commune. Un tel choix des parties est exprimé dans une « clause compromissoire » ou « convention d’arbitrage ».
Article publié à l’origine sur Intlex.org, puis recopié sur Valhalla.fr à la fermeture du site.
Pendant longtemps, la jurisprudence a assimilé deux questions totalement différentes, les présentant toutes deux sous la qualification de « principe d’autonomie » de la clause compromissoire.
La première question est celle de l’autonomie de la clause compromissoire par rapport à la convention de fond (ou « contrat principal »). Cette question ne se pose plus depuis la jurisprudence « Gosset ((Cass. Civ. 1ère « Gosset », 7 mai 1963)) » qui établit que la validité de la clause compromissoire n’est pas affectée par la nullité du contrat qui la contient (I).
Le principe d’autonomie de la convention d’arbitrage amène à penser que cette dernière constitue un objet juridique distinct du contrat principal. Selon une partie de la doctrine, il existerait ainsi une convention de fond et une seconde convention définissant les modalités de règlement des différends qui pourraient surgir à l’occasion de l’exécution de la première. La question est en réalité très discutée : d’une part, les deux negotia peuvent être insérés dans un même instrumentum, ce qui peut les confondre et rendre leur distinction bien difficile ; d’autre part, il peut exister des cas dans lesquels la nullité de la convention principale entraîne la nullité de la convention d’arbitrage, comme si ces deux contrats n’en formaient en réalité qu’un. Le terme de « séparabilité » de la clause compromissoire proposé par P. Mayer semble, dans un tel contexte, bien plus approprié que celui d’indépendance.
La seconde question est celle de l’autonomie de la convention d’arbitrage par rapport à toute loi étatique (II). Autrement dit, l’existence et la validité d’une convention d’arbitrage doivent s’apprécier selon des règles matérielles. La consécration de ce principe, ainsi que la distinction entre les deux formes de l’autonomie de la convention d’arbitrage, proviennent de l’arrêt « Dalico ((Cass. Civ. 1ère « Dalico », 20 décembre 1993)) » de la Cour de cassation.
I. L’arrêt « Gosset » et la « séparabilité » de la clause compromissoire. L’extension de la nullité du contrat principal à la convention d’arbitrage.
I.1. Le principe de « séparabilité » de la clause compromissoire consacré par l’arrêt « Gosset ».
Dans l’arrêt « Gosset », la Cour de cassation décida qu’un arbitre avait pu rendre une décision valable, alors que sa compétence était fondée sur une clause compromissoire figurant dans un contrat dont la nullité était alléguée, dès lors qu’« en matière d’arbitrage international, l’accord compromissoire, qu’il soit conclu séparément ou inclus dans l’acte juridique auquel il a trait, présente toujours, sauf circonstances exceptionnelles (…), une complète autonomie juridique, excluant qu’il puisse être affecté par une éventuelle invalidité de cet acte ».
La solution est de bon sens. Imaginons qu’il soit demandé à l’arbitre d’annuler un contrat prétendument atteint d’un grave vice fondant sa nullité. Imaginons maintenant que l’arbitre en arrive à la conclusion que le contrat est effectivement nul. Imaginons, pour finir, que l’arbitre soit investi par une clause compromissoire contenue dans ce contrat. Le contrat étant nul, si sa nullité emporte la nullité de la clause compromissoire, l’arbitre se trouve rétroactivement privé de toute légitimité. Autrement dit, la sentence décidant de la nullité du contrat est privée de tout effet et le contrat reste valable. Il est nécessaire, pour éviter de tomber dans un tel cercle vicieux, de considérer que la nullité du contrat principal est sans effet sur la validité de la clause compromissoire qu’il contient.
Ce principe est affirmée avec d’autant plus de force que la Cour de cassation prend la peine de préciser dans l’arrêt « Gosset » que la solution est valable que l’accord compromissoire « soit conclu séparément ou inclus dans l’acte juridique auquel il a trait ». Si la convention d’arbitrage est conclue séparément de la convention principale, il paraît évident que la nullité de l’une ne doit pas rejaillir sur l’autre. Encore qu’une convention d’arbitrage ne se rapportant pas à un contrat n’a pas de sens et encore moins de raison d’être ; l’argument sera développé par la suite. Si, en revanche, les deux negotia se trouvent dans le même instrumentum, il devient nécessaire de justifier l’indépendance de l’un par rapport à l’autre. Certains auteurs considèrent ainsi qu’il s’agit de deux contrats différents et autonomes. D’autres auteurs préfèrent dire que la convention d’arbitrage est « un accessoire du droit d’action qui accompagne les droits substantiels nés du contrat principal ((V. à ce propos: J. Béquin, M. Menjucq ; « Droit du commerce international » ; Ed. LexisNexis)) ».
Si la jurisprudence « Gosset » affirme l’indépendance de la clause compromissoire par rapport au contrat principal, elle n’indique en rien comment doit s’apprécier la validité de la clause compromissoire. Dès lors, les parties pourront « dépecer » le contrat et choisir une loi pour la convention de fond et une loi différente pour la clause compromissoire.
I.2. La convention d’arbitrage est-elle un contrat à part entière ?
Les termes « convention d’arbitrage » et « clause compromissoire » sont ici interchangeables ((En réalité, ils ne le sont pas. On dira qu’il y a une convention d’arbitrage qui contient une clause compromissoire. On assimilera les deux notions lorsque la convention d’arbitrage ne contient qu’une seule clause, la clause compromissoire, et que cette clause se trouve dans le contrat principal sans distinction particulière.)). Or, si l’on peut dire qu’il existe une convention spécifique à l’arbitrage à côté du contrat principal, la même affirmation perd tout son sens si l’on parle de clause compromissoire. Une clause est en effet par nature insérée dans un contrat, un contrat étant un ensemble de clauses.
La théorie affirmant que clause compromissoire et contrat principal constituent deux conventions différentes et autonomes ne semble pas résister à l’argument avancé par P. Mayer : la clause compromissoire « serait inconcevable en l’absence du reste du contrat. On ne peut prévoir le recours à l’arbitrage in vacuo. (…) L’objet même de la clause compromissoire est constitué par le reste du contrat. ((P. Mayer « Les limites de la séparabilité de la clause compromissoire », Revue de l’arbitrage 1998, p. 364.)) ». L’objet de la clause compromissoire est en effet de définir les modalités de règlement d’un différend qui pourrait survenir à l’occasion de l’exécution d’un contrat ; or, s’il n’y a pas de contrat à exécuter, il ne peut y avoir de différend contractuel ((En l’absence de contrat, la matière est délictuelle. Les matières contractuelle et délictuelle ne sont pas cumulables en droit français, elles s’excluent mutuellement.)) et la clause compromissoire n’a plus de raison d’être.
La clause compromissoire a trait à la procédure, elle ne concerne pas directement les droits substantiels. Or, quel peut être l’intérêt de définir une procédure totalement abstraite qui ne porterait sur aucun droit ou aucune obligation ? La clause compromissoire définit simplement une partie du régime juridique choisi par les parties lors de la conclusion du contrat qui les lie. On peut donc affirmer que la clause compromissoire ne constitue pas un contrat à part entière à côté du contrat principal portant sur le fond ((Contra : E. Loquin, V. note sour l’arrêt « Dalico », JO DI 1994, p. 692)).
Néanmoins, en pratique, il peut être bien utile de distinguer la convention d’arbitrage du contrat principal. Dans une affaire portée devant le Tribunal fédéral suisse ((- Tribunal Fédéral suisse ; 20 décembre 1995 ; Bull. Arrêts du tribunal Fédéral, recueil 121, 3ème partie ; p. 495)), il était question d’un contrat contenant une clause compromissoire. La validité de la convention d’arbitrage comme celle du contrat principal étaient contestées. Le demandeur soutenait que la sentence arbitrale rendue n’était pas valable, le tribunal arbitral ayant été investi par une convention d’arbitrage viciée par la violence. Selon le Tribunal fédéral suisse, l’arbitre doit dans un tel cas apprécier la validité de la clause, en constatant qu’il n’y a pas eu plus de consentement sur la clause compromissoire que sur le reste du contrat, et dénier sa compétence. Si l’arbitre considère que la clause compromissoire est affectée par un vice du consentement tel que la violence, il devra s’estimer incompétent pour statuer sur le contrat principal. On pourrait donc considérer dans ce cas qu’il existe deux conventions différentes et que l’arbitre doit se prononcer sur la validité de la première avant de pouvoir juger de la validité de la seconde: « Cela suppose toutefois nécessairement que le tribunal arbitral, avant de rendre une décision incidente au sujet de sa compétence, examine sans aucune réserve les objections relatives à l’existence et à la validité d’une convention de procédure dont dépend sa compétence, quand bien même ces objections et celles dirigées contre le contrat principal se recouvriraient. ».
Un arrêt ((Cass. 6 décembre 1988 ; JO DI 1990, p. 134)) de la Cour de cassation va encore plus loin. Dans cette espèce, la validité d’une clause compromissoire était discutée, le contrat principal ne produisant pas d’effet. Le contrat principal avait été valablement conclu, mais n’était jamais entré en vigueur. Son entrée en vigueur était soumise à condition suspensive du versement d’un acompte et de la fourniture d’une garantie bancaire que l’acheteur n’avait jamais remplie. L’acheteur soutient devant la Cour de cassation que le contrat qui n’est jamais entré en vigueur n’a jamais eu force de droit, et ne permet pas à l’arbitre de valider sa compétence. La Cour de cassation répond à cela que le contrat a bel et bien fait l’objet d’un consentement par les deux parties, que le différend opposant les parties était relatif aux seules conditions de conclusion du contrat et que ce différend peut être tranché par un tribunal arbitral valablement investi par la clause compromissoire. Dans ce contexte, on pourrait dire qu’il y a deux contrats distincts : celui portant la clause compromissoire qui est entré en vigueur dès la rencontre des consentements, et celui portant sur le fond qui n’est jamais entré en vigueur.
I.3. Une séparabilité relative : la distinction nullité / inexistence est-elle pertinente ?
Un clause d’un contrat peut, en droit français, être annulée sans que le reste du contrat en soit affecté. Il est fréquent de rencontrer en droit du commerce des clauses dont la loi établit qu’elles seront « réputées non écrites ». Il s’agit par exemple des clauses dites léonines, qui peuvent être rencontrées dans les statuts des sociétés commerciales et qui peuvent être classées en quatre types selon ce qu’elles prévoient : 1) tous les bénéfices seront distribués au même associé ; 2) un associé est totalement exonéré des pertes ; 3) un associé est exclu de tout profit ; 4) un associé devra supporter toutes les pertes. Partant de là, peuvent se présenter deux situations : dans le premier cas, la clause léonine peut être effacée du contrat de société sans que celui-ci en soit dénaturé, elle seule sera alors réputée non écrite et le reste du contrat restera valable ; dans le second cas, la clause léonine constitue la « cause impulsive et déterminante » du contrat de société et sa nullité emportera la nullité du contrat dans son ensemble. Pour autant, la clause léonine n’est jamais considérée comme une convention à part entière.
Etant établi que le contrat peut survivre à l’annulation d’une de ses clauses, il reste à savoir si la réciproque est vraie. La réponse doit être affirmative selon P. Mayer « si la clause est appelée à jouer, selon la volonté des parties, un rôle déterminant dans le prononcé de la nullité ou dans les conséquences de cette nullité ((P. Mayer « Les limites de la séparabilité de la clause compromissoire », Revue de l’arbitrage 1998, p. 364.)) ». On comprend facilement qu’il s’agit ici d’éviter à tout prix d’entrer dans le cercle vicieux précédemment décrit : pour pouvoir annuler le contrat litigieux et décider des conséquences de cette annulation, l’arbitre doit conserver sa compétence même si celle-ci est fondée sur une clause de ce contrat. Le contraire serait lourd de conséquences en ce qu’il suffirait au défendeur d’alléguer la nullité du contrat en cause pour soustraire le litige au tribunal arbitral et le remettre entre les mains du juge étatique. Cela reviendrait à nier tout effet obligatoire aux clauses compromissoires et à les priver totalement d’intérêt.
Il existe néanmoins des cas dans lesquels la nullité du contrat devrait entraîner la nullité de la clause compromissoire. L’hypothèse la plus évidente est celle dans laquelle le contrat est inexistant. Tel est le cas en présence d’une « erreur-obstacle » ((Erreur in negotio sur la nature du contrat ou erreur in corpore sur l’identité de l’objet du contrat)) : en matière civile, les tribunaux français considèrent qu’il ne s’agit plus d’un vice du consentement mais d’une absence totale de consentement et que le contrat n’a jamais été conclu. Dans une telle situation, le consentement des parties ne s’est pas plus accordé sur la clause compromissoire que sur le reste du contrat, le tout devrait être annulé en bloc.
L’annulation en bloc de la convention d’arbitrage et du contrat principal en cas d’inexistence ab initio de ce dernier ((V. favorables : P. Mayer « Les limites de la séparabilité de la clause compromissoire », Revue de l’arbitrage 1998, p. 364. ; P. Sanders, « L’autonomie de la clause compromissoire : in Hommage à Frédéric Eisemann », Paris, 1978, p. 31.)) n’est pourtant généralement retenue ni par la jurisprudence française ((V. Cass. Civ. 1ère, 6 décembre 1998, « Navimpex » ; et CA Paris, 8 mars 1990 : Rev. Arb. p. 675, 2ème espèce, note P. Mayer)) ni par les textes internationaux ((Art. 6.4 règlement CCI, art. 21.1 règlement CNUDCI)).
La Cour de cassation a cependant jugé dans un arrêt « L.B. Cassia » du 10 juillet 1990 « qu’en matière d’arbitrage international, l’autonomie de la clause compromissoire trouvait sa limite dans l’existence en la forme de la convention principale qui contient la clause invoquée, et cette existence devait nécessairement s’apprécier d’après la loi qui selon les principes du droit international privé régissait la forme de la convention ». Selon cet arrêt, la clause compromissoire ne semble pas devoir résister à l’inexistence en la forme du contrat principal, inexistence qui s’apprécie selon la loi applicable en vertu de la règle de conflit.
Une partie de la doctrine voit dans la solution de l’arrêt « Dalico ((Arrêt de principe CASS Civ 1ère « Dalico » du 20 décembre 1993 ; Revue de l’arbitrage 1994, p. 116 ; Revue critique de DIP 1994, p. 663 ; JO DI 1994 p. 432 et p. 692.)) » une remise en cause du principe consacré dans l’arrêt « L.B. Cassia » selon lequel « l’autonomie de la clause compromissoire [trouve] sa limite dans l’existence en la forme de la convention principale qui contient la clause invoquée ». E. Loquin estime en effet que « dès lors que la convention d’arbitrage est distincte de la convention qui la contient, et que sa validité échappe aux conditions de forme posées par toute loi étatique, elle ne peut être écartée du seul fait que la convention qui la contient n’a pas d’existence selon la loi désignée par le droit international privé pour régir la forme ((Note sous l’arrêt « Dalico », JO DI 1994, p. 696)) ». L’argument est logique et cette solution pourrait tout à faire être retenue sur un plan purement théorique.
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Néanmoins, en suivant une démarche plus pragmatique, on en arrive rapidement à la conclusion qu’une clause compromissoire n’a pas de raison d’être en l’absence de contrat de fond ((V. plus haut — argument développé par P. Mayer dans « Les limites de la séparabilité de la clause compromissoire », Revue de l’arbitrage 1998, p. 364.)). On dira donc avec H. Gaudemet-Tallon que la solution de l’arrêt « L.B. Cassia » n’est pas remise en cause par l’arrêt « Dalico » car « si le contrat principal n’existe pas de façon formelle, la clause compromissoire n’a pas d’objet et est nécessairement dépourvue de toute efficacité ((H. Gaudemet-Tallon, note sous l’arrêt « Dalico », Revue de l’arbitrage 1994, p. 116)) ».
La Cour de cassation a donc admis en 1990 une certaine limite à l’autonomie de la clause compromissoire, qui réside dans l’existence en la forme du contrat principal. Cela signifie que si le contrat principal est inexistant, la clause compromissoire l’est aussi. En outre, selon l’arrêt « L.B. Cassia », l’existence du contrat principal doit s’apprécier selon les dispositions de la loi désignée comme applicable à la forme par la règle de conflit. Cette affirmation amène une nouvelle question : la validité en la forme de la clause compromissoire doit-elle également être appréciée en fonction des dispositions de la loi qui lui est applicable en vertu de la règle de conflit ?
II. L’arrêt « Dalico » et l’« autonomie » de la clause compromissoire. L’indépendance de la convention d’arbitrage par rapport à toute loi nationale.
II.1. Les trois phases de la jurisprudence sur l’« autonomie » de la clause compromissoire.
La jurisprudence a lentement évolué vers le principe de l’« autonomie » de la clause compromissoire tel que consacré dans l’arrêt « Dalico ».
En réponse au vide juridique laissé par l’arrêt « Gosset » quant à la loi applicable à la clause compromissoire, la doctrine et la jurisprudence ont estimé que, sauf stipulation contraire, la loi applicable à la convention d’arbitrage serait celle applicable au contrat principal. Une autre solution avait également été proposée : choisir comme loi applicable à la clause compromissoire celle en vigueur au lieu de l’arbitrage. Cette dernière solution fut rapidement rejetée, car le lieu de l’arbitrage ne présente par forcément d’élément de rattachement avec le contrat litigieux. Finalement, aucune de ces deux solution n’étant jugée satisfaisante, il fallut trouver une troisième solution : une partie de la doctrine a préconisé de s’écarter de la méthode du conflit de loi pour consacrer l’indépendance de la clause compromissoire par rapport à toute loi étatique.
Dans son arrêt « Hecht » du 4 juillet 1972, la Première chambre civile de la Cour de cassation, confirmant la position prise dans cette affaire par la Cour d’appel de Paris, décida que la clause compromissoire pouvait être interprétée indépendamment d’une loi étatique. Dans un arrêt « Menicucci » ((Arrêt CA Paris, « Menicucci », 13 décembre 1975 ; JO. DI. 1977)), la Cour d’appel de Paris confirma cette solution, de manière plus claire encore.
E. Loquin ((Note sous l’arrêt « Dalico », JO DI 1994, p. 692)) relève en outre trois phases dans l’évolution de la jurisprudence sur la question de l’indépendance de la clause compromissoire par rapport aux lois étatiques.
Dans une première phase, la jurisprudence a admis « qu’en raison de son autonomie, la clause compromissoire devait être interprétée sans se référer à une quelconque loi étatique désignée par une règle de conflit ((Cass. Civ. 1ère, 14 décembre 1983 ; Cass. Civ. 1ère, 4 décembre 1990)) ». Il s’agit ici de l’interprétation au fond du contenu de la convention d’arbitrage, question différence de celle de sa validité en la forme.
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Dans une seconde phase, la jurisprudence s’est référée au principe d’autonomie de la clause compromissoire « pour soustraire celle-ci aux règles posées par les lois étatiques en matière d’extériorisation du consentement [… et aux] règles applicables aux vices du consentement ((E. Loquin, note sous l’arrêt « Dalico », JO DI 1994, p. 692 — V. Cass. Civ. 1ère, 6 décembre 1988 ; CA Paris, 9 juillet 1992)) ».
Dans une troisième et dernière phase, la jurisprudence a rattaché au principe de l’autonomie de la convention d’arbitrage l’appréciation du pouvoir de l’Etat à compromettre : « en matière d’arbitrage international, le principe de l’autonomie de la clause compromissoire est d’application générale en tant que règle matérielle consacrant la licéité de la convention d’arbitrage hors de toute référence à un système de conflit de lois, la validité de la convention devant être contrôlée au regard des seules exigences de l’ordre public international ((CA Paris, 24 février 1994, cité par E. Loquin, note sous l’arrêt « Dalico », JO DI 1994, p. 692)) ».
C’est dans le prolongement de cette dernière phase jurisprudentielle que s’inscrit l’important arrêt « Dalico » de la Première chambre civile de la Cour de cassation. Il convient d’en citer l’attendu de principe: « Attendu qu’en vertu d’une règle matérielle du droit international de l’arbitrage, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par référence et que son existence et son efficacité s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique ».
L’apport de l’arrêt « Dalico » est double : d’une part, la Cour de cassation affirme pour la première fois avec autant de clarté que l’autonomie de la clause compromissoire par rapport au contrat principal ne soit pas être confondue avec l’autonomie de la clause compromissoire par rapport à toute loi étatique ; d’autre part, elle admet l’existence d’une « règle matérielle du droit international de l’arbitrage » affirmant les deux aspects de l’autonomie de la clause compromissoire.
II.2. Les deux facettes de l’autonomie de la clause compromissoire.
Comme il a déjà été dit, la jurisprudence française a pendant longtemps assimilé deux notions distinctes sous le nom de « principe d’autonomie » de la clause compromissoire. L’arrêt « Dalico » opère une nette distinction entre ces deux notions.
L’indépendance de la clause compromissoire par rapport au contrat principal qui la contient fut affirmé par l’arrêt « Gosset » et fait l’objet de la première partie de cette analyse. L’arrêt « Dalico » ne fait que rappeler ce principe : « la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par référence ». Toute l’importance de ce premier aspect de l’arrêt « Dalico » réside dans la formulation de l’attendu de principe précité : en vertu d’une règle matérielle, la clause compromissoire est indépendance du contrat principal et de toute loi étatique.
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L’indépendance de la clause compromissoire par rapport à toute loi étatique n’est pas forcément une nouveauté ((V. ci-dessus l’évolution de la jurisprudence à ce sujet — V. aussi deux arrêts CA Paris du 14 novembre 1991 : « La clause compromissoire est licite en tant que telle dans l’ordre international, en vertu du principe général d’autonomie de la convention d’arbitrage, règle matérielle qui lui assure une efficacité propre » ; cité par H. Gaudemet-Tallon, note sous l’arrêt « Dalico », Revue de l’arbitrage 1994, p. 116)), mais elle est affirmé pour la première fois aussi clairement dans l’arrêt « Dalico » en référence à une « règle matérielle du droit international de l’arbitrage » , ce qu’il convient d’analyser.
II.3. L’absence de référence à toute loi étatique.
L’aspect le plus important de l’arrêt « Dalico » réside dans l’affirmation de la Cour de cassation selon laquelle « l’existence et l’efficacité [de la clause compromissoire] s’apprécient (…) d’après la commune volonté des parties, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique ».
Ce principe peut être analysé en deux parties. D’abord l’absence de référence à toute loi étatique, qui n’est pas une nouveauté ; puis, la prise en considération de la commune volonté des parties, qui est une nouveauté.
L’absence de référence à une loi étatique avait déjà été consacrée dans la jurisprudence antérieure, notamment de la Cour d’appel de Paris ((V. l’arrêt précité « Menicucci » du 13 décembre 1975, JDI, 1977.106)) : « compte tenu de l’autonomie de la clause compromissoire instituant un arbitrage international, celle-ci est valable indépendamment de la référence à toute loi étatique ». Le Conseiller J.P. Ancel relève à propos de l’arrêt « Ecofisa ((Cass. Civ. 1ère, « Ecofisa », 4 décembre 1990))) » que « le juge français n’est pas tenu de se référer à la loi étatique déclarée compétente en vertu de la règle de conflit ((Cité par H. Gaudemet-Tallon, note sous l’arrêt « Dalico », Revue de l’arbitrage 1994, p. 122).)) ».
II.4. La commune volonté des parties.
La référence à la « commune volonté des parties » est en revanche une nouveauté de l’arrêt « Dalico ». Une clause ne peut être efficace que si elle est d’abord valable ; or, l’efficacité comme la validité de la clause compromissoire doivent s’analyser conformément à la commune intention des parties qui, si elle ne dépend d’aucune loi étatique, doit être laissée à l’appréciation de l’arbitre.
Cette solution n’est pas parfaite et amène deux critiques ((Pour plus de précisions, V. H. Gaudemet-Tallon, note sous l’arrêt « Dalico », Revue de l’arbitrage 1994, p. 122-123)). D’une part, il peut être en pratique très difficile voire impossible de déterminer la commune intention des parties avec certitude. D’autre part, asseoir l’effet de la clause compromissoire sur la seule volonté des parties érige cette volonté en source de droit, ce qui est contraire aux principes de la théorie générale des contrats et aux droit international privé en matière contractuelle ((La Convention de Rome de 1980 établit que le contrat est régi au fond par la loi choisie par les parties (art. 3 § 1) et en la forme par les dispositions des lois prévues à l’article 9.)). Comme l’observe E. Gaillard, « la solution retenue par la Cour de cassation ne suggère nullement que la volonté des parties serait une norme première, se suffisant à elle-même et que la constatation de son existence ne supposerait le recours à aucune règle de droit ((E. Gaillard, note sous l’arrêt « Dalico », JO DI 1994, p. 432)) ».
En outre, la commune volonté des parties ne répond pas à toutes les questions. Par exemple, si le contrat principal est cédé, le cessionnaire sera-t-il lié par la clause compromissoire ? Celle-ci lui est-elle transmise comme accessoire du contrat principal ? Si la volonté des parties ne le dit pas, c’est au droit interne de réponde à cette question. En l’occurence, la jurisprudence française décide que la clause compromissoire est transmissible au cessionnaire ((Cass. Civ. 1ère, 5 janvier 1999 et 19 octobre 1999 ; Rev. Arb. 2000, p. 185)). Ce seront en réalité les conceptions françaises des juges français qui seront appliquées et rattachées à la volonté des parties.
La solution de l’arrêt « Dalico » fut qualifiée par certains d’impérialiste en ce qu’elle se base sur une règle matérielle du droit français dans un litige opposant une mairie libyenne à une société danoise. Mais, d’une part, le litige était rattaché à la France (exécution en France), et d’autre part, ces règles matérielles du droit français donnent toute latitude à la volonté des parties.
II.5. Les limites au principe d’autonomie : l’ordre public international et les lois de police.
La Cour de cassation énonce dans l’arrêt « Dalico » que l’autonomie de la clause compromissoire existe « sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international ».
Comme le relève E. Loquin ((E. Loquin, note sous l’arrêt « Dalico », JO DI 1994, p. 698)), l’« immunisation » de la clause compromissoire contre toute disposition étatique n’est pas totale. Si elle n’est directement soumise à aucune loi, cela ne signifie pas pour autant qu’elle est exonérée du respect des lois de police et de l’ordre public international.
Les « règles impératives du droit français » sont les lois de police françaises. Deux précisions sont nécessaires. Premièrement, les lois de police françaises sont des lois que le juge français doit appliquer dans un litige international même si la règle de conflit de lois désigne une loi étrangère. Or, l’arbitre n’est pas un juge étatique, il ne dépend pas d’un Etat et n’a pas de raison de préférer a priori la loi française à une autre loi. Il devient donc nécessaire de trouver un critère de rattachement de l’arbitrage avec la France qui justifie que l’arbitre applique les lois de police françaises. Ce critère réside dans le lieu de l’arbitrage ou dans la loi à laquelle il est soumis : si l’arbitrage est localisé en France ou soumis à la loi française, l’arbitre devra tenir compte des lois de police françaises ; en revanche, si l’arbitrage est localisé à l’étranger et qu’il n’est pas soumis à la loi française, les lois de police françaises n’auront pas à entrer en jeu.
Mais s’il ne doit pas y avoir de mise en œuvre de la règle de conflit, comment imaginer l’intervention de l’ordre public (qui fait obstacle à l’application d’une loi étrangère en France) ou des lois de police (qui, sur un certain point, s’imposent et font obstacle à la mise en oeuvre de la méthode conflictuelle) ? L’idée principale est la défense de certains principes essentiels de l’ordre juridique français contre la volonté des parties qui ne peut être illimitée. Le juge français devra respecter la volonté des parties (au nom de l’efficacité de l’arbitrage) tout en préservant les garanties essentielles que tout contractant est en droit de voir respectées (au nom de la sécurité). Si le droit étranger est plus contraignant que le droit français, il sera écarté au profit de l’expression de la volonté des parties ; à l’inverse, s’il est plus laxiste, l’ordre public international français fera obstacle à son application. Il est donc dans tous les cas préférable d’appliquer les conceptions françaises sans détour, celles-ci prenant de plus en plus l’aspect de lois de police qui s’appliquent directement dans l’ordre international.
La méthode conflictuelle ne doit pas disparaître pour autant du domaine de la validité de la clause compromissoire. S’il s’agit par exemple de vérifier la capacité d’une partie pour conclure une telle clause, il faudra nécessairement rechercher ce que la loi nationale de cette partie prévoit.
On peut également s’interroger sur le contenu de ces règles impératives que la Cour de cassation ne définit pas. H. Gaudemet-Tallon relève que ces règles pourraient être celles relatives à l’arbitrabilité du litige, ou des règles de forme, ou encore des règles de fond sur les vices du consentement ((H. Gaudemet-Tallon, note sous l’arrêt « Dalico », Revue de l’arbitrage 1994, p. 124)). Il n’en reste pas moins que la question n’a pas été tranchée par la jurisprudence et que ce critère reste très flou, tout aussi flou que les « circonstances exceptionnelles ((Les « circonstances exceptionnelles » de l’arrêt « Gosset » ne font pas obstacle à ce que l’arbitre statue sur sa compétence ; elles font obstacle à ce qu’il statue sur le contrat principal. Cependant, ces circonstances sont réellement exceptionnelles et les juridictions arbitrales n’hésitent pas à les écarter.)) » de l’arrêt « Gosset » qu’il semble devoir remplacer. D’après J.P. Ancel, la violation du principe d’égalité des parties (amiable composition, une partie nomme deux arbitre et l’autre une seule) ou la violence (une des parties a été obligée de consentir à la clause compromissoire) peuvent fonder l’intervention de l’ordre public international français.
La jurisprudence postérieure à l’arrêt « Dalico » paraît abandonner la notion de « règles matérielles » pour appliquer un droit français spécifique à l’ordre international. Dans certaines décisions, la Cour de cassation déclare valable la clause compromissoire sans se référer à la volonté des parties ni donner aucune norme de référence : « Vu le principe de validité de la clause d’arbitrage international… ((Cass. Civ 1ère, « Zanzi » ; 5 janvier 1999 ; JO. DI. 1999 p. 784)) ». Dans un tel contexte, la clause compromissoire semble devoir toujours être valable, sans reposer sur aucune règle de référence. Dans un arrêt du 30 mars 2004 ((Cass. 30 mars 2004, Bull. Cass. n°95)), la Cour de cassation est néanmoins revenue sur la jurisprudence « Zanzi » précitée en reprenant l’attendu de principe de l’arrêt « Dalico ».